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Une gauche en perdition?

Le résultat des élections vaudoises a fait fantasmer une droite qui se voit déjà triompher aux élections fédérales de l’an prochain. C’est sans doute bien vite dit.

L’arbre déplumé vaudois révèle-t-il le déclin de la forêt socialiste? La chute de la conseillère d’Etat Cesla Amarelle semble avoir en tout cas donné lieu à des extrapolations nationales plutôt audacieuses, et d’autant plus spontanées que proférées à une année des élections fédérales.

Ainsi le conseiller national PLR Philippe Nantermod, par ailleurs vice-président du parti, ne se sent plus de joie: «La pilule doit être particulièrement amère à avaler pour le PS, qui accumule les défaites. A gauche, on est en plein cannibalisme des voix.» Et d’enfoncer méchamment le clou: «Partout en Suisse romande, nous constatons un repositionnement à droite, ce qui est de très bon augure pour les prochaines élections fédérales.»

Cannibalisation certes, mais qui inclut aussi le risque que le résultat du déclin socialiste soit l’émergence, comme en 2019, d’une nouvelle vague verte, généralement plus à gauche que toute vaguelette rose, et dont le PLR n’aurait pas trop à se réjouir.

Bien sûr après Fribourg, c’est une union des droites – du Centre à l’UDC en passant par le PLR-, qui l’emporte au Conseil d’État vaudois. Mais on peut douter que le modèle soit reproduisible au niveau fédéral, où les désaccords entre le Centre et une UDC très droite dans ses bottes sont plus importants qu’entre des personnalités cantonales prêtes à mettre de l’eau dans leurs chasselas respectifs. Sans compter que les enseignants, dont la fronde fut fatale à Cesla Amarelle, auront rangé leurs crayons depuis longtemps.

La seule élue du premier tour vaudois, la radicale Christelle Luisier avance, elle, une explication plus prometteuse: «Les thématiques liées à la liberté prennent de la vigueur. C’était une valeur considérée comme acquise il y a deux ans. Entre le Covid et la guerre en Ukraine, elle a repris des couleurs, tout comme la thématique de la sécurité.» Certes, sauf que les deux mêmes crises provoquent aussi une hausse de la demande en matière de protection sociale qui pourrait être favorable, elle, à la gauche.

A l’intérieur de la gauche même on y va d’explications qui ont toujours beaucoup servi et qui n’apparaissent guère plus convaincantes. Telle celle avancée par un cacique popiste reprochant au PS d’avoir trop tiré sur la corde du compromis et noué trop d’alliances et d’accords avec la droite, «poussant peut-être des électeurs à se reporter sur des formations qui ont toujours tenu un discours clairement de gauche». C’est pour cela sans doute que Cesla Amarelle s’est fait piquer son fauteuil… par une centriste. Même s’il est vrai qu’au Grand Conseil, Ensemble à gauche et les Verts, ont progressé au détriment du PS.

Certains vont même plus loin, tel l’essayiste François Cherix pour qui les socialistes vaudois sont pris dans une lessiveuse internationale secouant les camarades de tous les pays, tiraillés entre deux modèles: «Celui d’une social-démocratie à l’allemande, pragmatique et proche des préoccupations de la population, ou celui d’un PS français qui s’est perdu dans des combats purement idéologiques.» Sauf que la candidate du PS français à l’élection présidentielle, qui a réussi l’exploit d’un score (1,8%) quasi deux fois moindre que celui du fantasque berger pyrénéen Jean Lassalle, défendait un programme strictement social-démocrate.

D’autres n’y comprennent franchement plus rien, comme le vice-président du PS suisse, Samuel Bendahan: «Les gens sont d’accord avec nous, mais ne votent pas pour nous.» C’est en effet bien ennuyeux.

Le problème en réalité avec les conclusions que l’on tire d’un scrutin électoral, c’est qu’elles ne valent que jusqu’à la prochaine échéance, qui les met souvent en pièces. Il serait donc sans doute plus prudent, à propos des élections vaudoises et de tout autre scrutin, de s’en tenir à l’inusable dicton churchillien, sans doute apocryphe, comme la plupart des dictons churchilliens: «En démocratie le peuple a toujours raison, c’est pourquoi on peut d’autant plus lui reprocher de se tromper si souvent.»