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Au pays de la modération forcenée

Aider davantage l’Ukraine, oui, livrer des armes, non. Se rapprocher de l’OTAN, peut-être, adhérer jamais. Guerre ou pas, la Suisse reste la Suisse.

Les sondages ne sont pas faits pour les chiens. Ni ne sont réservés exclusivement aux Français en rase campagne. Nous avons aussi les nôtres, censés révéler l’âme crue et nue du pays.

Ainsi, nous savons désormais, sur la base incontestablement chiffrée d’une étude d’opinion menée par l’institut Sotomo en collaboration avec le groupe Blick, que le Suisse moyen serait plutôt du genre «rapprochant» qu’adhérant.

On peut le comprendre. Se rapprocher de quelqu’un, d’un groupe de personnes, d’une institution, cela permet d’abord de prendre la température, de se sentir moins seul, d’avoir un peu de compagnie. Mais sans trop se mouiller, ni crouler sous des responsabilités et des engagements étouffants.

Alors qu’adhérer, c’est une toute autre affaire: il s’agit d’entrer dans la mêlée, de faire corps et bloc, d’assumer sa tâche, montrer ses capacités et biscoteaux, participer équitablement à l’effort général.

Pas étonnant dès lors qu’une majorité de Suisses -pas si écrasante en réalité, 56%-, se montre favorable à un «rapprochement» avec l’OTAN, sous la forme d’«une collaboration plus étroite».

Par les mauvais temps qui courent et qui grondent, se rapprocher d’un parapluie plus gros que soi peut sembler plutôt malin. Surtout que s’abriter sous le riflard d’un autre, ça ne coûte pas bien cher. On profite juste d’une bonne occasion. Et puis comme l’histoire l’a maintes fois montré, «collaborer» cela ne mange pas beaucoup de pain et se révèle même à la portée du premier timoré venu.

Pas étonnant donc non plus, lorsqu’on évoque une franche adhésion à cette même OTAN, qu’il n’y ait plus grand monde au portillon. Les Suisses ne sont en effet que 33% à répondre banco.

On a sans doute sa petite fierté, une vieille nostalgie de l’indépendance primitive, quelques gouttes de sang waldstätten qui doivent surnager quelque part. Ce n’était pas la peine de bouter le Habsbourg hors de nos prairies et forêts si c’est pour y faire entrer aujourd’hui le Yankee. Et tant pis si la plupart des membres de cette famille-là sont nos plus proches voisins européens.

Bref, on veut bien être protégé par plus fort que soi mais en payant la plus petite prime d’assurance possible.

Cette très vive prudence, pour ne pas dire cette modération forcenée, disparait pourtant soudain. Et laisse place à une certaine forme de générosité, le même sondage montrant en effet que 61% de nos concitoyens estiment que l’on pourrait aider davantage l’Ukraine.

Sauf que cela se gâte un peu quand la question porte sur la nature de cette aide. Des armes? Vous n’y pensez pas. Cela nous ressemble tellement peu, n’est-ce pas, de livrer des armes. C’est pourquoi sans doute nous sommes une majorité à plébisciter plutôt l’envoi de casques et de gilets de protection.

On imagine la reconnaissance éperdue de tous ces Ukrainiens casqués et harnachés par nos soins, pendant que l’envahisseur russe peaufine et bichonne ses missiles balistiques derniers modèles.

Admettons, puisque cela est répété chaque fois qu’il s’en publie un, qu’on peut faire dire ce que l’on veut aux sondages. C’est tellement vrai qu’une autre de ces enquêtes, réalisée par le même institut Sotomo pour la Fondation Sanitas, et intitulée «Société numérique et solidarité», établit entre autres résultats divers et étranges, un qui l’est moins: les Suisses sont contre le fait que ceux qui ne feraient aucun effort en matière de nutrition ni n’entretiendraient leur forme physique soient dorénavant pénalisés dans leur accès aux soins. Autrement dit, les Suisses plébiscitent le droit à une vie malsaine. Que les Ukrainiens se le tiennent pour dit.