Les deux objets soumis au souverain à propos du financement de l’AVS mettent à l’épreuve l’éternel paradoxe de la démocratie directe.
C’est un genre de paquet explosif. Le Conseil fédéral a eu beau diviser en deux objets le projet de réforme de l’AVS soumis au peuple –relèvement de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans et financement par un relèvement du taux de de TVA–, c’est bien un périlleux emballage-cadeau qui est proposé à la sagacité du souverain.
Cadeau empoisonné et ce doublement, puisque l’on décrète à la fois de revenir sur les avantages acquis d’une seule catégorie de citoyens –en l’occurrence de citoyennes– et de remplir la marmite grâce au plus aveugle de tous les impôts, cette TVA qui frappe de manière égale tout un chacun sans considération de revenus. Sauf qu’en période d’inflation, la TVA perd largement de sa juste cécité puisqu’elle ne prend à la gorge, là encore, qu’une seule catégorie de citoyens: les plus démunis.
Les sondages donnent certes pour l’heure les deux objets gagnants mais, s’agissant en tout cas de l’âge des femmes, avec une tendance glissant vers le non.
On pourrait penser, sans misogynie outrancière, que les femmes se sont un peu piégées elles-mêmes. Celles du moins qui ont poussé les revendications féministes jusqu’au paroxysme, au lieu de se consacrer sur l’essentiel et l’évident, les inégalités précisément chiffrables, avec au premier rang les disparités salariales. À prêcher l’égalité partout, en principe absolu, il devient plus compliqué de défendre ses quelques petits avantages comme de manière anecdotique, la non astreinte au service militaire et plus sérieusement ici l’âge de départ à la retraite.
Pour faire passer la pilule du relèvement, certains arguments s’avèrent particulièrement retors, et sur ce coup, les femmes ne sont jamais mieux servies que par les femmes. C’est ainsi que la conseillère aux États radicale Johanna Gapany attribue «à la société patriarcale» la situation actuelle d’inégalité hommes-femmes: «La femme, en moyenne plus jeune que son mari, devait partir à la retraite en même temps que lui.» Ce n’est historiquement pas faux, mais quand même: invoquer la lutte contre le patriarcat pour élever l’âge de départ à la retraite des femmes, il fallait y penser, chapeau l’artiste.
Sur ce sujet délicat, ce sont d’ailleurs souvent les femmes –certaines femmes– qui osent dire crûment ce qu’aucun homme ou presque n’oserait plus trop hasarder. La rédactrice en chef du journal «Le Temps» Madeleine von Holzen y va ainsi de cette remarque iconoclaste: «Pourquoi un homme devrait-il travailler une année de plus qu’une femme? Une femme cadre cesser de contribuer à la caisse de compensation à 64 ans alors qu’un homme ouvrier doit travailler jusqu’à 65 ans? Rétablir l’égalité sur ce terrain est juste et indispensable pour les générations futures.»
La faiblesse de cet argument en apparence irréfutable, c’est que le nombre de femmes cadres est infiniment inférieur à celui des femmes ouvrières ou employées. Une majorité de femmes d’ailleurs, comme l’a montré un sondage en début de campagne, désapprouvent à 64% l’idée du relèvement, tandis que les hommes sont 71% à l’approuver.
Et ce même s’il n’est pas toujours facile de démontrer que l’égalité doive «se réaliser dans le bon sens, et pas en faisant des économies sur le dos des femmes». A l’image de la conseillère nationale verte Léonore Porchet expliquant que «les femmes fournissent déjà énormément de travail gratuit, à la maison, dans la famille, par exemple en gardant leurs petits-enfants une fois arrivées à la retraite». Ce qui n’est pas inexact mais évidemment inchiffrable.
Le seul argument sérieux au bout du compte, en faveur des deux objets, consiste à rappeler qu’il faudra bien faire quelque chose. Même si l’on n’est pas à une ou deux années près, puisque les chiffres de l’AVS sont encore dans le noir, la pyramide démographique et la longévité rendent évidente la nécessité d’une réforme.
Plus facile à dire qu’à mettre en musique puisqu’il s’agira bien en jour ou l’autre –avec ce paradoxe maintes fois vécu qui constitue la difficulté et la grandeur de la démocratie directe–, de faire approuver par le peuple une réforme qui va, à court terme du moins, contre lui.