LATITUDES

«Pyrocène» et les autres mots de septembre

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «Pyrocène», «tracances» et «iconique».

Pyrocène

Le phénomène dévastateur des mégafeux a touché cet été des zones géographiques jusqu’ici épargnées. La sécheresse consécutive aux modifications climatiques a facilité leur propagation et généré des dégâts considérables. Déjà Greenpeace qualifie 2022 d’«Année des feux de forêts».

Ce nouveau fléau ne surprend pas Joëlle Zask et Stephen Pyne. La philosophe française, auteure de «Quand la forêt brûle» et l’historien du feu américain, auteur de «The  Pyrocene: How We Create an Age of Fire, and What Happens Next», annoncent depuis quelques années la venue du Pyrocène. Soit l’Age du feu. Pour Pyne, «le réchauffement climatique signe notre entrée dans le Pyrocène, un temps où le feu modèlera la planète aussi puissamment que la glace lors des périodes glaciaires». L’Anthropocène se révèle pyromane!

Bien avant les propos alarmistes des deux concepteurs de ce néologisme, de nombreuses mythologies voyaient dans le feu notre pire ennemi. Une préfiguration en passe de se vérifier?

Tracances

Damien, que je sollicite professionnellement, me répond en précisant qu’il est entouré de sa famille, en Corse. Confuse, je lui exprime mes regrets de l’avoir dérangé durant ses vacances. «Pas de problème, je suis en tracances», rétorque-t-il.

En tracances, mais de quoi s’agit-il? Ce nouveau terme venu du Canada fait des adeptes en France et ses premières apparitions en Romandie. Mot-valise, il contracte travail et vacances. Après la pandémie et la vague du travail à domicile, voici une nouvelle forme de boulot à distance. Grâce ou faute à ces outils de travail que sont l’ordinateur et le téléphone portable, le télétravail peut s’inviter non seulement chez soi mais sur les lieux de vacances. Fractionner ses journées en travaillant le matin et en se reposant le reste de la journée ou prolonger sa présence en villégiature d’une ou deux semaines pour ceux qui en ont les moyens; des formules qui séduisent ou déplaisent. On peut y déceler la liberté d’organiser son travail comme bon nous semble, craindre la confusion entre vie privée et temps professionnel ou la fin d’un droit à la déconnexion, hier revendiqué, aujourd’hui assumé. «Les tracances, c’est bien des tracas», estimait Sempé, à l’amorce de cette tendance.

Iconique

Quel lien entre ces mots: baskets, statue, actrice, cliché, hamburger, arme, coiffure, cuvée ou rouge à lèvres? Ils ont tous, ainsi que quantités d’autres, été récemment qualifiés d’iconiques. Un adjectif qui succède à «culte» et «mythique». Hier, rappelez-vous, ils auraient été jugés «cultes» qui désignait alors une admiration que l’on voue à quelqu’un ou quelque chose ou «mythiques», synonyme de fabuleux, légendaire. Les tendances se succèdent et poussent à une certaine paresse dans le choix de l’adjectif le plus approprié à l’époque.

La linguiste Clara Cini s’est penchée sur l’actuelle popularité de l’adjectif «iconique». Elle questionne ses significations de plus en plus variées et ses emplois dans des contextes jusqu’ici étanches: «Dans nos conversations quotidiennes, il semblerait, en effet, que tout frôle le sacré.» Un usage qui viserait à intensifier la charge émotionnelle des propos et exprimerait l’enthousiasme des Millennials. Voici un rare exemple de vocable tendance à connotation positive relevé depuis le début de l’année.