GLOCAL

Une bonne soif de pouvoir

Face à la flambée des prix du gaz, de l’électricité, des primes maladies et des produits de première nécessité, la mobilisation politique est générale. Sauf pour le Conseil fédéral et le Parti radical.

Par admin

Le pouvoir, c’est pas beau. La soif de pouvoir encore moins. Tout le monde est d’accord. Avec une exception. Il existe une forme de pouvoir, et là aussi tout le monde est d’accord, qu’on ne critique pas, un pouvoir sacralisé, dont la soif est considérée comme tellement légitime, que lorsqu’il est mis à mal, c’est le branle-bas politique immédiat, la grande montée au créneau, la harangue folle à la tribune. Ce pouvoir que nous exigeons tous, sous peine de faire un malheur, c’est le pouvoir d’achat. Gloire à lui.
Et tant pis si cette pépie tant cajolée et couvée pourrait laisser entendre que c’est bien cela qui nous importe le plus, que c’est bien cela que nous sommes, avant toute autre chose: des acheteurs.

Or justement il y a péril en la demeure, ou plutôt sur les ménages. Car dès qu’on parle de pouvoir d’achat, on ne parle pas de vous et moi, on ne parle plus de personnes, ni de gens, mais de «ménages». Lesquels se sentent donc menacés de méchants coups de gourdin en rafale. Doublement du prix du mazout, bond de 60% de celui du gaz, l’électricité au tarif de l’or en barre, l’inflation à 3,4% – et même à 10% pour les pâtes, les spaghettis bolo cuits au gaz se transformant en quasi produits de luxe. Sans parler de l’habituelle explosion des primes d’assurance maladie, catastrophe devenue à peu près naturelle.

Ni une ni deux: comme on ne plaisante pas avec le pouvoir d’achat, le parlement agende fissa une séance extraordinaire consacrée à la question. Chacun propose ses gourdes de secours pour soulager les assoiffés: adaptation des rentes AVS à l’inflation pour la gauche, augmentation de l’aide cantonale aux primes maladies, pour le Centre, baisse des taxes sur l’essence pour une UDC toujours aussi éprise des fossiles.

Seul le Conseil fédéral, bien calé sur son Aventin, reste de marbre, estimant l’inflation encore «supportable». Une sérénité qui certes peut s’appuyer sur des comparaisons soigneusement chiffrées – l’inflation est en moyenne nettement plus élevée dans les pays de la Communauté européenne – pas loin de 10%. Une égalité d’âme peut-être aussi facilitée, démagogiquement dit, par la situation personnelle des Conseillers: avec un salaire mensuel avoisinant les 40 000 francs, et un abonnement général CFF gratuit, en 1ère classe, il faudrait être sacrément homme d’état pour visualiser et intégrer l’impact réel du prix de l’essence et des macaronis sur les fameux «ménages».

C’est ainsi, plus sept sages que jamais, que nos bons ministres assurent suivre «attentivement la situation», ce qui ne mange pas de pain, et ce qui est heureux, vu la flambée du prix des céréales. A noter que c’est aussi la position du Parti radical: garder bien ouvert son œil de lynx libéral, mais sans tendre la patte, c’est-à-dire en ne proposant aucune mesure de soutien.
L’avenir dira si la hause généralisée des prix sera encore longtemps considérée par la population, pardon les ménages, comme «supportable» ainsi que le voudrait le Conseil fédéral. Un Conseil qui table peut-être sur une apathie revendicative que les Suisses partageraient par exemple avec le peuple russe. Ou quand le summum de la révolte consiste à prendre des selfies en regardant l’arrestation de manifestants si peu nombreux que la milice peut les embarquer un à un.

Sauf qu’il ne s’agit là-bas, où le gaz et l’électricité ne coûtent quasiment rien, que de protester contre une guerre absurde et injuste. Autant dire une broutille, comparée à notre soif contrariée de pouvoir d’achat.