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Virus, mon beau virus 

L’épidémie s’emballe, comme pour nous tendre à nouveau un miroir où nous faisons plutôt piètre figure, dévoilant que cette crise à répétition n’est sans doute pas que sanitaire. 

«Le plus important est que l’économie cesse de souffrir.» Non, ce n’est pas Alain Berset qui parle, mais Isabel Díaz Ayuso, la très contestée et très droitière présidente du gouvernement local madrilène, où se concentre un tiers des personnes infectées, dans une Espagne qui est le premier pays européen à dépasser le million de cas. Opposée à toute forme de «lockdown» la présidente préconise plutôt «des mesures chirurgicales pour concilier l’économie et la santé». Les partisans de la mise sous cloche du pays ne manquent pas de rappeler que cette ancienne journaliste avait débuté sa carrière politique en gérant le compte Twitter du chien d’une élue.

La Suisse ne semble désormais pas faire beaucoup mieux que l’Espagne. Même si, à ce que l’on sait, Alain Berset n’a jamais géré le compte Twitter de quelque bête que ce soit, il se voit pourtant contraint d’avouer ce piteux et impuissant bilan: «Il y a trois semaines, nous bénéficions de l’une des meilleures situations en Europe: à présent, nous connaissons l’une des plus mauvaises.» Avant d’annoncer, lugubre, outre le retour en force de la norme du télétravail, qu’il «est temps de renoncer aux fêtes privées».

Et ce tout en laissant planer quelques menaces sur les établissements publics, alors que GastroSuisse annonce la perte de 33’000 emplois dans le secteur depuis janvier. Les mesures à venir s’annoncent donc moins chirurgicales qu’à Madrid. La tentative d’Alain Berset pour rassurer sur ce point, aura été tout sauf… rassurante: «Il n’est pas question de ne rien faire, mais il n’est pas non plus question de tout fermer pendant dix-huit mois.» C’est la seule vraie information: le prochain confinement ne durera pas dix-huit mois.

Bref, c’est un peu à nouveau panique à bord. On cherche des explications. Et on en trouve de tous les côtés. Il se pourrait même que la saine démocratie à la suisse puisse se révéler un sérieux handicap dans la lutte contre le virus. Par exemple, pour expliquer que le Valais soit le canton où l’explosion soudaine de cas est la plus forte, le correspondant local du Temps, Grégoire Baur, raconte ceci: «Petit à petit, les gestes barrières ont été moins respectés, puis même oubliés par une frange de la population toujours plus grande. On l’a encore vu, le week-end passé, lors des élections communales. Embrassades ou serrages de mains pour féliciter les vainqueurs, accolades ou câlins pour consoler les perdants.» Ce n’est évidemment pas à Wuhan que l’on aurait vu ça.

N’empêche, un chiffre pourrait interpeller: il semble que le nombre de lits en soins intensifs se monte pour tout le pays à 1’000, et pas un de plus. Mardi soir dernier, soit le 20 octobre, ces lits étaient occupés par une centaine de cas Covid, contre 600 par d’autres malades. Dans certains cantons, comme à Genève, on prévoit déjà de déprogrammer, comme en mars, les opérations moins urgentes, non liées à l’épidémie.

Tout ceci accrédite un peu la thèse selon laquelle la crise que nous vivons n’est pas que sanitaire. Avec une partie de l’équation, en Suisse comme ailleurs, qui se résume à un problème de management des hôpitaux. Quel canton n’a pas fait sa glorieuse réforme hospitalière? Des réformes menées toutes selon le même principe: rationalisation, regroupement de structures, fermeture des petites unités, compression des coûts, suivant la plus joyeuse doxa libérale. Toutes mesures qui n’ont curieusement eu aucun effet, par exemple, sur le montant des primes maladies.

Cela a été dit un peu partout en mars, et le temps semble venu de pouvoir le redire, à l’heure où l’on se dirige à vitesse grand V vers un nouveau confinement: ce virus agit comme un puissant miroir et ce qu’il nous renvoie –imprévision crasse, usage obsessionnel du principe de précaution, tentations autoritaires, incapacité à penser la mort comme un phénomène naturel– est peut-être pire que la pandémie elle-même.