L’augmentation des cas positifs au Covid-19 provoque déjà une sérieuse irruption de l’Etat dans la sphère privée, qui n’inquiète pas que les complotistes.
«Nous ne sommes pas en Corée du Nord.» C’est le conseiller d’Etat Antonio Hodgers qui le proclame. Peut-être aurait-il dû ajouter: pour l’instant. La réaction des autorités genevoises et sans doute bientôt d’autres cantons, face à une sérieuse augmentation des cas testés positifs au coronavirus, peut en effet laisser craindre une rapide escalade dans l’espionnite aigüe et le déploiement des tentacules de l’Etat fouineur.
A Genève déjà, cet Etat entend s’immiscer dans la sphère intime, avec l’obligation, à partir de quinze personnes réunies dans un cadre privé, de livrer les noms des participants aux autorités, ainsi que d’expliquer la nature de la réunion. Rassemblements où les participants ont également l’obligation de porter le masque et de ne consommer qu’à des places assises et non interchangeables.
C’est un véritable Rubicon qui est franchi, dont on pourrait imaginer qu’il soit, à minima, une réponse à une situation catastrophique et devenue incontrôlable. Or les derniers chiffres au moment de la rédaction de cette chronique, ceux du 15 octobre, se présentaient ainsi: 2606 nouveaux cas dans tout le pays, pour 41 nouvelles hospitalisations. Si l’on tient compte d’une statistique ou plutôt d’une estimation donnée par la médecin cantonale genevoise Aglaé Tardin dans «Heidi.news», à savoir que sur les personnes hospitalisées pour cause de Covid-19, 10 % devaient être transférées en réanimation, il paraît difficile, deuxième vague ou pas, de parler d’un système hospitalier au bord de la rupture, comme on l’entend ici ou là.
C’est un fait que la courbe des hospitalisations et des décès – 2 pour le 15 octobre- ne suit pas la courbe des cas positifs. De quoi rallumer la verve jamais éteinte des complotistes et des enragés qui croient repérer les vilaines traces de l’Etat profond à tous les étages.
Surtout que le degré de confusion semble, lui, au contraire, suivre la courbe des cas, et que cette fois encore on chercherait en vain une unanimité médicale. Certains spécialistes, certes minoritaires, expriment l’hypothèse que le virus serait devenu moins virulent. D’autres comme l’épidémiologiste Antoine Flahaut, toujours dans «Heidi.news», explique que, plus probablement, la majorité des infectés sont plus jeunes qu’en mars dernier, et donc moins sujets à complications, et que les personnes à risques ont appris à mieux se protéger. Certains, enfin, souvent accoudés au Café du Commerce, pointent le fait avéré que l’on teste davantage. De la même façon que plus on pratiquerait de tests de QI, plus vaste apparaîtrait la proportion d’abrutis.
Toujours est-il que voilà la sphère privée frontalement attaquée, elle qui semblait pourtant protégée par les Constitutions cantonales, par la Constitution fédérale et par la Convention européenne des droits de l’homme. Comme si tous ces textes n’étaient plus que des chiffons de papier ne pesant plus rien face à quelques centaines d’hospitalisation.
Le 28 septembre dernier déjà, Suzette Sandoz, professeure de droit à la retraite, posait la question des questions: «Jusqu’à quel point peut-on tuer la vie pour éviter la mort?» Le tout assorti de toute une série de poignantes sous-questions: «Faut-il vraiment punir les jeunes pour protéger les vieux? Faut-il vraiment cloîtrer les personnes dans certains EMS pour les empêcher de mourir? Faut-il vraiment faire crever de faim des populations pour leur éviter d’être éventuellement malades? Faut-il vraiment détruire l’économie et tous ceux qu’elle fait vivre pour éviter la mort de quelques-uns?»
Des questions qui supposent que les interlocuteurs auxquels elles s’adressent soient doté d’une capacité qui semble suivre la progression inverse du virus: le courage politique.
Pendant ce temps, la Corée-du-Nord, la vraie, soutient, sans qu’on soit obligé de la croire, que le nombre de cas sur son territoire se monte à exactement zéro. Voilà qui sent méchamment le modèle à suivre.