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Comme le petit Jésus

Trop lourdes pour les uns, trop légères pour les autres, les nouvelles mesures du Conseil fédéral visant à «maîtriser l’épidémie», révèlent où nous en sommes: à effectuer la danse de la pluie.

Ainsi donc, après avoir chanté tout l’été, les chorales sont invitées maintenant à danser. Sans doute pas n’importe quelle danse, mais une qui reste à inventer. Il s’agira de se trémousser masqués, à bonne distance les uns des autres et en très petit comité. On pourrait l’appeler le tango viral, voire la valse jaune.

On connait au moins désormais l’objectif du Conseil fédéral: «réduire le nombre de contacts interpersonnels.» Dit comme cela, voilà un programme politique dont aucun satrape dans toute l’histoire n’aurait jamais osé rêver. Sauf que seule la formule est martiale. Dans la réalité il ne s’agit, pour l’instant, même pas d’un confinement, ni même du semi-confinement du printemps dernier. Plutôt donc d’un quart de confinement, une vie sans discothèques ni sports collectifs, avec «Polizei Stunde» à 23h et masques dans les rues piétonnes. Plutôt gentil comparé à la sauce à laquelle nos voisins français vont être à nouveau mangés. Pour leur plus grand plaisir semble-t-il, puisque l’on sait déjà qu’ils sont 77% à approuver les mesures annoncées par Emmanuel Macron, dont le retour des fameuses et affreuses attestations de sortie. Effet «nocebo», dirait l’impayable professeur Raoult.

Chez nous, la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga a choisi d’enfiler une chasuble de jésuite pour faire passer la pilule, et surtout fermer la bouche à tous les inconscients qui s’effareraient des suites financières calamiteuses produites par de telles mesures: «Les conséquences négatives sur l’économie seront trop importantes si nous n’agissons pas. Plus vite nous parviendrons à freiner la propagation du virus, plus vite nous pourrons aller de l’avant.» Bref prendre l’économie à la gorge, mais pour son bien. Allez après ça, vous plaindre de quelques faillites en cascade.

Et que rétorquer alors, au mot final, à la ronflante conclusion de la présidente: «Nous devons surmonter cette crise ensemble, et ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise.» Là ce n’est plus du jésuitisme, mais de la prestidigitation pure. Ensemble dans la restriction des contacts interpersonnels, il faut vraiment avoir la foi pour y croire, revenir aux fondamentaux de la plus folle théologie: credo quia absurdum.

Le malaise vient peut-être, qu’effectivement, le mot d’ordre martelé par Alain Berset et la plupart des chefs d’Etat de la planète, ressemble à une ambition tellement démesurée qu’elle s’apparente, plus qu’à un but raisonnablement atteignable, à une prière désespérée, à une danse de la pluie: «maîtriser l’épidémie.»

Ce qui revient à peu près à vouloir commander au soleil et aux étoiles. C’est ainsi que, chaque jour un peu plus, le vaccin est attendu comme le petit Jésus. Même si bien sûr, ce tonitruant «maîtriser l’épidémie» cache un objectif beaucoup plus modeste: ne pas engorger les services de réanimations. A tout prix.

Soyons juste. C’est peut-être simplement que cet interminable épisode épidémique a pris la forme géométrique la plus impensable: la quadrature du cercle. L’économiste Charles Wyplosz résume dans «Le Temps» la nature de cette profonde aporie: «Accepter délibérément la contagion pour atteindre l’immunité collective revient à accepter la mort de nombreuses personnes. Ralentir la contagion par les mesures de distanciation permet de réduire le nombre de décès en évitant l’engorgement des hôpitaux, mais cela coûte très cher.»

Il n’y aurait en bref que de mauvaises décisions à prendre, sans même qu’il soit possible d’évaluer sérieusement laquelle de ces mauvaises solutions serait la moins mauvaise. Charles Wyplosz encore: «A en juger par les hésitations à envisager de nouveaux confinements, il est implicitement admis que la vie a un prix qui n’est pas infini, mais personne ne se hasarde à dire lequel.» Et de conclure: «Oui, tout cela est bien compliqué.» Quand un économiste en arrive à cet aveu, c’est qu’effectivement, il ne reste plus qu’à prier.