TECHNOPHILE

Dessine-moi une usine 4.0

Cette nouvelle révolution industrielle ne consiste pas seulement à intégrer les technologiques dans l’industrie. Décryptage des enjeux, avantages et défis de l’industrie 4.0.

L’usine de demain: une chaîne de production dont chaque maillon sera contrôlé en temps réel et optimisé selon les besoins du marché. De la conception d’un produit aux retours des clients, toutes les étapes du cycle de vie d’un objet seront mises en lien et coordonnées par informatique. Après la mécanisation, la production de masse et l’automatisation, place à la 4e révolution industrielle, ou industrie 4.0. Ce grand virage consiste donc en l’intégration de technologies numériques: robotisation, impression 3D, objets connectés, senseurs intelligents ou encore exploitation des données issues du big data.

Près de 50% des membres de la faîtière Swissmem indique avoir déjà franchi le pas, selon un sondage mené en 2016. «On peut intégrer de l’industrie 4.0 en amont de la production, par exemple en établissant une liaison en direct avec ses fournisseurs, dans la production elle-même et en aval, en proposant à ses clients des produits ou services connectés», détaille Philippe Cordonnier, responsable de Swissmem pour la Suisse romande.

Une production mieux contrôlée

Cette nouvelle organisation de la production présente plusieurs atouts. En premier lieu, elle s’oriente en fonction des besoins du client. Jusqu’à présent, toutes les machines d’une chaîne de production devaient être mises en action pour fabriquer une pièce. Il fallait donc amortir l’outillage sur une série de composants pour obtenir des coûts absorbables. Avec l’impression 3D, il devient possible de façonner des pièces uniques à bas prix. Ensuite, le fait de contrôler la production à chaque instant permet d’améliorer l’efficacité des processus – d’organisation interne, de relations clients, de gestion des stocks ou de gestion du temps – et donc la rentabilité. Enfin, l’industrie 4.0 génère de nouveaux produits et services connectés, offrant de la valeur ajoutée. Par exemple un matelas intelligent, comme en a développé la société vaudoise Elite, permet d’extraire de l’information – sur les habitudes et les besoins des dormeurs – qui génère de la plus-value par rapport à un matelas classique.

Chez Fischer Connectors, fabricant de connecteurs électriques et fibre optique basé à St-Prex (VD), le tournant a été emprunté il y a une dizaine d’années. De manière incrémentale, en ajoutant du software à la chaîne de production: un robot pour une tâche, des composants par impression 3D. Des frais importants ont été engagés, mais le retour sur investissement se révèle rapide. «Sans ces changements, nous aurions sans doute disparu, explique Jonathan Brossard, CEO de l’entreprise. La mondialisation provoque une pression sur les prix. Déjà, les règles concurrentielles ne sont pas les mêmes en Suisse que dans d’autres pays. Et puis, l’extrême disponibilité des biens et services fait que tout le monde vend de tout à tout le monde. La gestion logistique est devenue à cet égard un véritable challenge que certains moyens de l’usine intelligente 4.0 nous ont aidé à relever, notamment dans l’automation des stocks et la commande numérique pilotée par ordinateur (CNC).» Sans ces investissements, il est certain que l’entreprise de solutions connectiques n’aurait pas évolué de manière si positive, les perspectives des ventes de la multinationale lémanique étant au beau fixe.

Personnel qualifié à former

Reste encore à trouver suffisamment de personnel qualifié pour assurer cette transition. L’intégration d’opérations robotisées sur les chaînes de production provoque le débat: ne risque-t-on pas d’assister à d’importantes vagues de licenciements? Pour Philippe Cordonier, c’est plutôt le personnel existant qui va devoir se former à de nouvelles tâches dans un avenir proche.

Deux hautes écoles romandes, la Haute école Arc (HE-Arc) de Neuchâtel et celle d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) proposeront d’ailleurs dès la rentrée 2018 un nouveau Bachelor en Ingénierie et gestion industrielles. Précisément conçu pour préparer les ingénieurs de demain aux défis de l’industrie 4.0, le cursus fournira des outils de lean management, un mode d’amélioration continue de l’organisation du travail. Si de nombreux informaticiens ont été formés ces dernières années pour développer des algorithmes, l’enjeu est maintenant de former des ingénieurs capables de dialoguer avec les informaticiens. «On voit naître cet esprit de l’échange de savoirs, avance Philippe Grize, directeur de la filière ingénierie à la HE-Arc. Ce n’est pas évident dans un pays où règne une certaine culture du secret. Finalement, c’est une révolution culturelle, plus que seulement numérique, qui nous attend.»

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Une version de cet article est parue dans le magazine Entreprise Romande (été 2018).