KAPITAL

La perte d’un collaborateur essentiel doit s’anticiper

Dans un marché de l’emploi tendu, les entreprises doivent prévenir le risque de départ, de maladie ou de décès d’employés clés. Les experts conseillent de ne pas tomber dans le piège de la surenchère salariale mais de se focaliser plutôt dans la création d’une culture d’entreprise positive.

Avec 47% d’augmentation, le nombre d’offres d’emploi a atteint des records en Suisse au premier trimestre 2022 par rapport à la même période de l’année dernière, selon Adecco. Ce contexte bénéficie aux employés qui, dans de nombreuses professions, peuvent être recrutés par un concurrent ou quitter l’entreprise pour chercher de nouveaux défis ou une meilleure qualité de vie. La perte de savoir-faire devient donc une menace majeure, particulièrement pour les PME. «Les petites sociétés proposent en général des emplois avec des cahiers des charges variés, ce qui peut concentrer le savoir-faire sur un nombre réduit de personnes, explique Nikola Mahmutovic, directeur des ressources humaines chez Salt Mobile. De par leur structure, les grandes entreprises sont au contraire caractérisées par des fonctions plus morcelées, avec des rôles parfois très spécifiques et des processus stricts. Pour ces raisons, le risque de perte de savoir-faire due au départ d’un collaborateur clé a un plus grand impact pour une PME que pour une multinationale.»

Diversifier

Les solutions les plus simples à appliquer relèvent souvent du bon sens. «Tout d’abord, il faut éviter de se reposer sur les compétences d’un seul individu. Si cette personne devait quitter l’entreprise, les dégâts pourraient se révéler considérables, selon l’importance de ses compétences. Deuxièmement, il est souhaitable de mettre en place des mesures concrètes, comme la création de processus qui recensent tâches et méthodologies liées aux postes clés», détaille Yannick Coulange, directeur général de l’agence de recrutement PageGroup Switzerland.

«Lors de l’embauche, il faut s’assurer qu’il y ait une convergence entre les valeurs de l’entreprise et celles de la personne que l’on veut engager, poursuit Nathalie Brodard, fondatrice du cabinet de recrutement Brodard Executive Search, basé à Genève. Des clauses de non concurrence ou de protection des données sensibles peuvent être ajoutées dans le contrat, mais le cadre juridique ne protège pas forcément les entreprises de ce point de vue. Une mesure très efficace peut être le “job sharing”, soit la création de deux postes identiques à 50%, pour éviter qu’un client ait une seule et unique personne de contact.»

Flexibilité et avantages

La question de la rétention des talents est celle qui fait l’unanimité parmi les entreprises et les experts en ressources humaines. «Des bonus, des heures de travail flexibles ou du télétravail restent des conditions presque nécessaires dans le monde d’après pandémie, poursuit Yannick Coulange. Mais il ne faut pas tomber dans le piège de la surenchère salariale, car elle présente un risque en même temps pour l’entreprise et pour l’individu: d’un côté elle fausse le marché, de l’autre elle peut créer une frustration pour la personne qui quitte un poste surévalué pour rejoindre une entreprise alignée aux salaires du marché.» Les managers doivent donc trouver des manières attrayantes et sur-mesure pour se positionner en tant qu’employeurs attractifs. «Pour une PME, une inspiration est à chercher dans les critères des classements des meilleurs employeurs comme “Top Employers” ou “Great Place to Work”.»

Les avantages financiers et la flexibilité peuvent toutefois se révéler insuffisants: la culture d’entreprise et l’intégration jouant elles aussi un rôle majeur. «Les personnes doivent se sentir libres d’être elles-mêmes au travail. Pour cela il faut créer une base de confiance solide», dit le directeur de PageGroup Switzerland. Nikola Mahmutovic de Salt Mobile confirme: «En appliquant le leadership mobilisateur, qui regroupe la stimulation intellectuelle, la considération individuelle et l’exemplarité, j’ai pu instaurer des liens de confiance très forts avec un haut niveau de transparence avec mon équipe. Cela qui nous a permis de traiter très ouvertement des questions liées à l’insatisfaction ou aux plans de carrière et par conséquent l’anticipation de potentiels départs.»

L’évaluation annuelle constitue un moment idéal pour échanger de manière ouverte et potentiellement prévenir un départ. «Les entreprises devraient en faire deux par an, en demandant ce qui a été fait et comment, afin non seulement d’établir des documents de référence, mais aussi pour renforcer les liens, souligne la recruteuse Nathalie Brodard. Ces échanges peuvent aussi se dérouler lors d’un café ou d’une promenade en tête-à-tête. Une autre solution, qui intéresse particulièrement les jeunes, davantage en quête de sens dans leur activité professionnelle, peut être la mise en place d’actions philanthropiques, qu’elles soient organisées par l’entreprise ou en donnant la possibilité de mettre son temps à disposition d’une association.»

Sortir de l’ordinaire

Une approche peu répandue consiste à contracter une assurance. «Il s’agit d’un produit de niche, inspiré d’une solution proposée initialement par les Lloyds, une corporation historique d’assureurs et réassureurs de Londres, résume Cédric Hautier, responsable risques spéciaux pour la compagnie d’assurances TSM, une des rares entreprises à offrir ce service. Cette police couvre la perte de chiffre d’affaires en cas d’absence de la personne pour maladie, accident, mais également décès. Des métiers tels que médecin ou dentiste, mais aussi CEO de petite entreprise et commerciaux figurent parmi les plus demandés. La perte de savoir-faire due à une démission n’est en revanche pas couverte.»

Afin de renforcer la cohésion des équipes, les managers peuvent aussi faire recours à des coachs ou à des formations en self-leadership. «Les entreprises doivent aider à rétablir le lien social et les moments de partage suite à la levée des restrictions sanitaires, souligne Jean-Yves Mercier, directeur exécutif du eMBA de l’Université de Genève. Avec l’entreprise horlogère Vacheron Constantin, bien avant la pandémie, nous avions organisé un programme de self-leadership, qui a poussé chacun des participants à réfléchir à sa place dans la société. Parler ouvertement de ces thèmes a permis à toutes les parties prenantes de simplifier les échanges, d’établir des perspectives de carrière sur le long-terme et, finalement, de réduire la rotation du personnel.» Une manière subtile de faire face à un marché du travail tendu, mais aussi de fidéliser les collaborateurs.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans le magazine Entreprise Romande.