CULTURE

Complètement Grotesk

Dès son arrivée à New York, le graphiste genevois Kimou Meyer s’est imposé dans le milieu de la mode urbaine. Il travaille aujourd’hui pour Nike et Electronic Arts et ne renie surtout pas ses origines. En matière graphique, le label suisse vaut de l’or.

«Brooklyn, c’est le chaos. Mais quelle richesse!» Le graphiste genevois Kimou Meyer est établi dans cette partie de New York depuis dix ans et n’a aucune envie d’en partir. «Nulle part ailleurs, on ne retrouve des contrastes visuels aussi frappants: des vieux Russes qui fument des cigarettes et mangent du poisson fumé, des Coréens qui vendent des dragons en plastique au beau milieu d’un paysage urbain dominé par le métro aérien… Débarquer ici depuis la Suisse, c’était comme recevoir une gifle: j’ai dû tout réapprendre.»

Kimou Meyer aime Brooklyn, qui lui sert d’inspiration. Plus connu sous le pseudonyme de Grotesk, ce graphiste de 36 ans s’est fait dès son arrivée un nom dans les milieux du skateboard, du streetwear et du sport. Si bien qu’aujourd’hui, Nike, Carhartt, ou ESPN figurent parmi ses principaux clients. Outre le design d’illustrations, il travaille comme consultant. A New York, il vient de réaliser un concept store Nike où les jaquettes de baseball, pulls et t-shirts peuvent être personnalisés avec des lettrages à la mode vintage. Dans un autre mandat récent, le géant du jeu vidéo Electronic Arts lui a demandé d’apporter sa touche à un jeu se déroulant à Brooklyn. «Ici, tout va très vite, il faut tenir le coup. Mais les gens se font plaisir et mettent plein d’énergie dans leurs projets. La Suisse, à côté, c’était pour moi la castration créatrice.»

Pourtant, en design graphique, la Suisse reste le pays des pionniers du XXe siècle. C’est là qu’est né le «style typographique international», que l’on reconnaît à son aspect fonctionnel, ordré et dépouillé de tout artifice. «Le rayonnement du graphisme suisse est incroyable, souligne Kimou Meyer. A New York, il suffit de prendre le métro pour s’en rendre compte: toute la signalétique est faite en police de caractères Helvetica, l’icône de ce mouvement.» Ses origines, Grotesk ne les renie donc pas, au contraire: «Ici, on est vu comme des footballeurs brésiliens. Et les écoles suisses, comme les Rolls Royce du design. Cette image qu’a le graphisme helvétique reste étonnamment méconnue et sous-exploitée par les Suisses.»

Kimou Meyer lui-même n’a pas hésité à prendre le surnom de Grotesk, qui fait référence à une police de caractères ayant servi de modèle pour créer l’Helvetica. Dans son premier livre, qui retrace son œuvre de 1999 à 2009, le designer fait de nombreuses références à son pays natal. C’est par exemple avec un certain humour qu’il dessine un couteau suisse encore sanglant au côté d’une enseigne «Brownsville», un quartier de Brooklyn connu pour son haut niveau de criminalité. «Mes dessins sont toujours composés de lignes simples et tournent autour d’un élément fort, ce qui est très suisse. Mon but est de tirer le meilleur parti de la communication visuelle suisse tout en m’inspirant du chaos new-yorkais pour créer un design frais, qui puisse être apprécié par tout le monde.»

C’est en 1998, alors étudiant dans une école d’art à Bruxelles, que Kimou Meyer gagne son premier concours: le design de l’affiche et de l’identité visuelle du Paléo Festival. «Une opportunité rêvée qui m’a permis d’apprendre à communiquer avec un client», explique-t-il. Tout s’enchaîne ensuite très vite. Décrochant le Premier Prix de l’école de Bruxelles, il se fait remarquer par le directeur créatif d’une agence de renom, Base Design, qui lui demande d’ouvrir une filiale new-yorkaise. Il n’y restera que deux ans — partageant son salaire avec deux amis suisses venus l’aider — avant qu’il ne soit appelé à la direction artistique de Zoo York, une grande marque de skateboard.

«J’ai tout d’un coup eu 14 personnes sous ma responsabilité. Cela a duré sept ans.» Tout au long de cette période, Kimou Meyer continue toutefois de dessiner à son compte, sous le nom de Grotesk. Il s’inspire des livres de ses deux enfants — Rio et Jasper, qu’il précise avoir particulièrement bien réussis –, de faits divers, des épiceries de Brooklyn, de la musique hip hop, de vieilles enseignes peintes à la main, ou encore d’anciennes tenues sportives. «Après avoir vu mon travail, plusieurs marques ont commencé à me solliciter. Ces activités se sont rapidement transformées en un deuxième plein-temps.» En 2009, il en a trop. Il décide de quitter Zoo York pour se consacrer à une agence de consultation qu’il crée avec deux partenaires.

«Il y a des gens qui ont besoin de faire du yoga pour se sentir bien. Moi, c’est le dessin. Si je ne fais rien de créatif pendant trois jours, je suis malheureux, c’est comme ça.» Dans une illustration, il dessine justement une boîte de médicaments de laquelle on voit ressortir des crayons. Sur l’étiquette, les instructions: «Dr Grotesk: une fois par jour, restez à l’écart de votre écran.»
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères.