LATITUDES

«Dupe» et les autres mots de juin

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «dupe», «vocal» et «sabotage».

Dupe

Comme jamais, nous craignons d’être dupes. Un climat de méfiance règne. Nos sources sont-elles fiables? Une question qu’acheteuses et acheteurs de «dupes» ne se posent pas en se ruant sur ces produits qui jouent cartes sur table.

Jusqu’ici, dupe renvoyait à une personne que l’on trompe sans qu’elle en ait le moindre soupçon. Une nouvelle acception est venue s’y ajouter. Hier, on appelait contrefaçon ou imitation, la reproduction de produits de luxe. Aujourd’hui on parle de dupes, des alternatives peu onéreuses à des biens très convoités. Un mot masculin provenant du terme anglais «duplicate» et non du français «duper». Pas de jeu, ni de marché de dupes, on sait à quoi s’en tenir avec ces dupes qui ne cherchent pas à passer pour ce qu’ils ne sont pas. Le fabricant de dupes s’inspire des produits de grandes marques et y appose la sienne.

Les jeunes en raffolent. Le hashtag «dupe» cartonne sur les réseaux sociaux avec des milliards de vues. Après vêtements, chaussures, accessoires et bijoux, les produits de beauté et parfums se lancent dans la vente de dupes. Si vous ne pouvez pas vous offrir le parfum de vos rêves, parce que trop cher, optez pour son dupe! Non sans avoir préalablement consulté un site qui compare les dupes à leurs modèles de référence («Dupethat» par exemple). Trop s’en éloigner relève-t-il de la duperie?

Vocal, vocaux

Avis aux boomers: ils ne sont plus les derniers adeptes des messages vocaux. Ceux-ci connaissent un retour en grâce sous l’appellation abrégée de «vocaux». Chacun en fait le constat, ils sont de plus en plus présents sur les messageries. Plus simples que le SMS et moins longs que l’appel, ils conviennent, on le savait, aux seniors. Mais, c’est nouveau, aux très jeunes également.

Certains jugent les vocaux égotiques, paresseux, voire impudiques ou impolis. Des reproches qui devraient être balayés avec un nouvel usage «qui ne vire pas à la tannée pour le destinataire»? (Libération).

Quel est donc ce mode de «bon emploi» des vocaux? Le quotidien français dévoile «un petit guide des règles implicites du bon vocal» qui permet d’éviter d’exaspérer son destinataire. On retiendra qu’un vocal, c’est une minute maximum. Pas de vocal à son boss ou ses collègues; on lui préférera le mail. Vérifiez que votre interlocuteur n’a pas développé une aversion aux vocaux en lui envoyant un message écrit lui demandant son assentiment. Soyez authentique et spontané. Pour vous faire écouter, évitez un vocal monotone et plat qui ressemble à un répondeur.

Si appliquées, ces précautions devraient épargner toute raillerie aux adeptes des vocaux.

Sabotage

Que de sabotages aux auteurs et visées hétéroclites! Leur pratique comme outil de lutte est très présente: mode d’action de guerre en Ukraine et en Russie, slogan «Grève, blocage, sabotage» sur les pancartes des cortèges français contre les réformes, détériorations de gazoducs, de lignes de chemins de fer et d’antennes 5G ou encore derniers recours des écolos.

Le mot «sabotage» viendrait des ouvriers révoltés qui jetaient leurs sabots dans les machines en vue de les détruire (tisserands hollandais, luddites anglais ou encore canuts lyonnais). C’est là une légende, contestent d’autres étymologistes. Le terme ne renverrait pas à la chaussure de bois mais à une attitude défensive. Les travailleurs faisant semblant d’exécuter du bon travail tout en produisant vite et mal. «Sabotage n’aurait pas été conçu comme une image littérale mais utilisé dans des sens variés de “gâchis”». Une certitude, son origine demeure incertaine.

Rapidement sorti du monde du travail, le sabotage est bien souvent devenu l’arme du faible dans un combat asymétrique. De quoi lui assurer un bel avenir.