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Martiens et Persans

De Lausanne à Genève, en passant par Tourtemagne, certaines récentes péripéties politiques pourraient faire penser que la Suisse n’est pas le pays le plus rationnel du monde.

Des Martiens, ou des Persans qui se seraient avisés de visiter ces derniers jours la Suisse, pays que leurs agences de voyage respectives leur auraient vendu comme l’un des plus sages et des plus raisonnables de la galaxie ou de la Terre, seraient tombés sans doute d’assez haut.

De passage à Genève, ils auraient pu, dans une cathédrale Saint-Pierre parée des plus grandes pompes, entendre le ministre Maudet prenant ses fonctions jurer solennellement devant le procureur de la République de n’accepter aucun avantage indus, quelques heures après que la même justice genevoise avait condamné le même ministre Maudet à 300 jours amendes pour avoir, lors d’un précédent mandat, accepté les mêmes avantages indus.

D’où Martiens et Persans auraient peut-être conclu que cet étrange peuple considérait que faute non avouée devait être entièrement pardonnée.

Ayant eu vent, à propos de quatre nouveaux centres de requérants d’asile, de la colère suscitée dans la partie francophone du pays par le fait que trois de ces établissements soient situés en Suisse romande –Bure dans le Jura, Tourtemagne en Valais, et Bière dans le canton de Vaud, contre Thoune dans celui de Berne, Martiens ou Persans auraient décidé d’aller se faire leur propre idée sur place.

Arrivés à Tourtemagne – Turtmann en VO –, grande aurait été leur surprise de constater que personne n’y parlait français, mais tous une espèce de sabir germanophone, chacun leur jurant bien qu’ils n’étaient plus là en Suisse –romande. Martiens et Persans auraient vu leur stupéfaction s’accroître quand un autochtone leur aurait précisé qu’ils ne se trouvaient pas pour autant en Suisse allemande, mais dans une sorte de cinquième Suisse appelée Haut-Valais – Oberwallis en VO. Martiens et Persans en auraient alors déduit que les habitants de ce pauvre pays ne savaient pas eux-mêmes exactement où ils habitaient.

La ministre vaudoise Isabelle Moret aurait ensuite plutôt obscurci qu’éclairé leur lanterne: après avoir suggéré que la Confédération profitait sournoisement du «fait que la Suisse romande soit plus ouverte à l’accueil des requérants», elle aurait dénoncé, sans doute alertée sur la réalité de Tourtemagne, trois centres sur quatre situés non pas en Suisse romande, mais «à l’ouest de Thoune».

Vérification faite, Martiens et Persans découvraient que certes Tourtemagne se trouvait à l’ouest de Thoune, mais pour une petite dizaine de kilomètres. D’où il leur serait apparu que si ce pays n’était pas bien grand, il s’avérait en revanche plutôt susceptible et même franchement tatillon. Et qu’on pouvait y être «plus ouvert», tout en se montrant à peu près aussi fermé.

Bref, Martiens ou Persans n’auraient plus compris grand-chose à ce fameux röstigraben dont on leur aurait pourtant beaucoup parlé. Plus claire en revanche leur aurait semblé cette nouvelle barrière politique, plus neuve certes, mais plus banale que le rösti puisque plus universellement répandue: un clivage politique qui n’avait plus rien à voir ni avec les idées ni avec l’appartenance sociale, mais avec le genre.

Ainsi auraient-ils admiré l’inventivité et la fraîcheur de l’accusation portée par une élue vaudoise de gauche, contre un élu vaudois de droite: «harcèlement paternaliste».

Martiens ou Persans auraient d’abord flairé là un début d’oxymore, avant d’être rassurés par un sondage de l’institut Sotomo pour la NZZ, montrant que dans ce pays, les femmes de moins de trente ans se situaient politiquement de plus en plus à gauche, (35% en 2010 contre 52% aujourd’hui) et les hommes de moins de trente ans, de plus en plus à droite (29% en 2010 pour 43% aujourd’hui).

A l’heure du départ, Martiens ou Persans seraient probablement arrivés à la même conclusion, qui avait été celle déjà du voyageur Flaubert revenant d’Ajaccio: «Tout ce qu’on dit sur la Corse est faux.»