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Rond comme un ballon

Après la promotion inattendue de Stade Lausanne Ouchy en Super League suisse de football, quelques petits enseignements géopolitiques peuvent en être tirés.

Elle monte, elle monte. Qui? Quoi? La barrière de röstis. Concept à peu près aussi inusable que largement  fantasmé, et surtout bien pratique pour expliquer l’inexplicable. Comme des résultats électoraux qui déplaisent d’un côté ou l’autre de la Sarine et qui ne peuvent être que le fait de «Welches» décidemment pas bien sérieux ou de «Suisses-Totos» assurément toujours aussi conservateurs.

Quelques récents petits dossiers montrent que ce mur de patates grillées semble plus épais que jamais. C’est d’abord La Broye, et donc les cantons de Vaud et de Fribourg, qui se sentent floués par la façon dont sont organisées les forces militaires aériennes: le bruit et les nuisances pour Payerne, d’où partent 70% des vols, les emplois et les retombées économiques pour Emmen, dans le canton de Lucerne, où est concentré l’essentiel de la maintenance.

Ce sont ensuite les nouveaux horaires CFF qui, comme chaque année, suscitent pas mal d’ire dans une Suisse romande s’estimant comme chaque fois moins bien servie que les grands voisins alémaniques. Objet de la rancœur ce coup-ci: une péjoration des liaisons, soudain moins directes, entre Genève et l’arc jurassien.

C’est enfin un déséquilibre qui est désagréablement ressenti dans la localisation des quatre nouveaux centres de requérants: trois dans des cantons romands. Comme si héberger des requérants – par exemple des femmes et des enfants ukrainiens fuyant l’agression russe – devait être absolument et d’entrée vécu comme une source de désagréments divers et pas comme un devoir, ou même soyons fous, un honneur.

Il fait cependant peu de doute que cette façon d’analyser les choses en termes d’antagonisme entre le bulldozer alémanique et la fragile petite chose appelée Romandie, n’est non seulement pas la bonne, mais n’amènera sûrement jamais aucun gain.

La position quasi paranoïaque de l’éternel Calimero minoritaire, ressemble en effet à une impasse, comme le rappelle froidement le quotidien Le Temps: «Il y a l’émotion, mais aussi un principe de réalité. Les grands arbitrages politiques se décident à Berne. Aux Romands d’y être proactifs, d’intensifier leur lobbying, d’engager le bras de fer. Ils ont toutes les cartes en main, car le poids de la région ne cesse d’augmenter au sein de l’économie helvétique».

Autrement dit, quand on pèse même pas 30% de la population, attendre de recevoir 50% du gâteau sans se retrousser les manches relève de la naïveté, si pas de l’arrogance.

Un petit évènement sportif vient souligner de manière particulièrement criarde l’inanité de la barrière de röstis. Sur les trois places possibles pour l’accession à la Super League de football, les trois ont été conquises cette saison par des clubs romands. Pire: toutes des équipes vaudoises. Un grand club historique, comme on sait, Lausanne Sport, une modeste structure provinciale, qui n’en est pas à son premier coup d’éclat, Yverdon Sports, mais surtout Stade Lausanne Ouchy, petit club de quartier surgi du néant.

Evènement qui a déclenché enthousiasme et flonflons côté romand, sur un air aussi connu que convenu: dans un sport de en plus en plus soumis au règne de l’argent et de la jungle, ah comme il est donc «rafraîchissant» et «rassurant» de voir que des petits peuvent encore faire la nique aux gros.

Sauf que cet enthousiasme, sur cette rive-ci de la Sarine, a été sans doute suscité davantage par le fait que les petits en question aient été romands que par que le fait qu’ils soient petits. A preuve, on peut parier que la promotion, longtemps possible, des poucets du FC Wil ou du FC Schaffhouse n’aurait jamais fait couler en terres romandes les mêmes douces larmes de bonheur.

De la même manière, c’est ainsi côté alémanique que le triomphe des petits romands a été vu par le bout négatif de la lorgnette. «Aucun caissier de club ne se réjouira de voir des promus comme Yverdon ou Stade Lausanne Ouchy. Ces deux clubs font un excellent travail, mais ils ne sont pas un atout pour la Super League», se lamente le très sérieux Tages-Anzeiger.

La vérité vraie que révèle le football, producteur inégalé de tautologies, est que les Suisses romands majoritairement préfèrent ce qui est romand, et que les Suisses alémanique pour la plupart goûtent davantage ce qui est alémanique. Plutôt qu’injuste ou scandaleux, autant considérer, des deux côtés, ce fait comme sain et naturel. Aussi sain et naturel que le football.