De plus en plus de communes plantent des vergers ou des massifs de variétés comestibles plutôt que décoratives. Un moyen de favoriser la biodiversité tout en sensibilisant la population à la saisonnalité des produits.
Des rangées de choux que l’on peut croiser au détour d’une allée d’un parc ou au milieu d’un massif de fleurs: ce mélange des genres a été popularisé sous le nom de «ville comestible» il y a une quinzaine d’années à Todmorden, au nord-ouest de l’Angleterre. Des citoyens engagés sur les questions environnementales et de la souveraineté alimentaire y décident de cultiver des plantes comestibles dans divers espaces publics et proposent les récoltes en libre-service aux habitants. L’initiative citoyenne a fait des émules à travers le monde, y compris en Suisse. Mais l’idée intéresse également toujours plus les responsables de municipalités romandes.
Ainsi, la Ville de Vevey (VD) plante pour la troisième année consécutive diverses variétés de végétaux comestibles rares et anciens au sein de ses massifs floraux. Une initiative soutenue par la fondation ProSpecieRara, qui s’engage pour préserver la diversité des fruits et légumes cultivés et des animaux de rente indigènes. Des arbres fruitiers locaux et en voie d’extinction ont par ailleurs été installés en différents endroits du domaine public veveysan.
Une palette colorée
«La Suisse dispose d’un véritable trésor sur le plan du patrimoine génétique qu’il vaut la peine de conserver à travers ce type d’initiative, au risque de les voir disparaître autrement, explique Matthias Gudinchet, responsable de projets plantes au sein de la fondation ProSpecieRara. D’autant plus que ces variétés locales ont connu un essor et ont été sélectionnées en raison de leur bon goût et de leur adaptation aux conditions climatiques de notre terroir, là où les variétés qui se sont imposées sur le marché agroalimentaire mondial au cours du XXe siècle l’ont été en premier lieu en raison de leur résistance ou de leur calibrage.»
Parmi les espèces qui se prêtent bien à la culture dans ces massifs, on peut citer le chou kale ou la côte de bette, qui offrent de belles palettes de teintes. L’expert souligne son intérêt pour l’artichaut «violet de Plainpalais», originaire de la région genevoise. «Il s’agit d’une plante vivace parfaitement adaptée à notre climat. Avec un capitule à la couleur violet intense, sa floraison au printemps présente un effet impressionnant dans les massifs, qu’il faut cependant accepter de perdre à partir de l’été.»
Du côté de Nyon (VD), en remontant depuis le bord du Léman vers le château, on peut découvrir ce printemps un espace de 250 m² consacrés à la culture maraîchère. «Le Jardin de la Duche est un projet mené en association avec la ferme de Bois du Nant à Eysins, explique Pierre Wahlen, municipal responsable de l’Environnement et des Services industriels de la Ville de Nyon. Nous avons privilégié cette approche, car il faut dire qu’installer des plantes comestibles directement dans les massifs reste compliqué, pour des questions sanitaires ou en raison des chapardages.» La cité vaudoise dispose aussi de plus 200 arbres fruitiers dans les parcs situés sur son territoire, avec des pommiers, cerisiers ou cognassiers. «Nous avons d’ailleurs la volonté de poursuivre ces plantations qui permettent de fournir une petite production locale de jus de pomme, et aussi de mettre des fruits à disposition dans des caissettes à l’automne.»
Créer des lieux de fraîcheur
À Genève, le Service des espaces verts (SEVE) a récemment redonné vie à un verger historique situé dans le parc Beaulieu, connu pour ses cèdres du Liban pluricentenaires. Une quinzaine d’arbres hautes tiges y ont été plantés par les jardiniers du SEVE, tandis que l’entretien de la parcelle est assuré par des moutons. Des variétés locales et anciennes ont aussi été sélectionnées en collaboration avec ProSpecieRara et Pro Natura, afin de produire à terme pommes, poires, prunes et coings.
«Notre civilisation a longtemps opéré une distinction entre ville et nature, et tenant cette dernière hors des murs des cités, observe encore Pierre Wahlen. Avec les défis qui se posent aujourd’hui en matière de biodiversité et de climat, la question de ramener la nature en ville se retrouve au premier plan. Ces cultures vivrières participent à cet effort, qu’il s’agisse de créer de nouveaux espaces de fraîcheur ou de perméabiliser les sols. Par ailleurs, ces plantations créent un effet de sensibilisation, en rappelant la saisonnalité de notre alimentation.»
_______
QUESTIONS À…
Pierre Wahlen, municipal responsable de l’Environnement, à Nyon
Pourquoi avoir créé le Jardin de la Duche?
Il s’agit d’une part de rapprocher producteurs locaux et consommateurs. L’aménagement présente d’autre part un intérêt pédagogique, puisque des visites d’écoles y sont prévues. Enfin, la production de l’espace maraîcher sera remise à la Soliderie, une épicerie solidaire locale.
Il existe aussi une vigne à proximité du château de Nyon…
C’est un projet né lors de l’agrandissement du district de Nyon. On y trouve autant de cépages que de communes composant notre district. Cela permet de produire un peu de raisin, qui est pressé chaque automne pour être distribué à la population.
Quels effets attendez-vous de ce type d’initiative?
On peut en noter plusieurs: cela participe à la biodiversité, favorise les abeilles en milieu urbain, et fournit de la nourriture aux oiseaux grâce aux fruits trop mûrs. Sur le plan social, nous remarquons un fort intérêt de la population. Près de 200 familles bénéficient aujourd’hui de petits carrés potagers répartis dans différents endroits de la ville, et il s’en trouve encore davantage sur liste d’attente. Par ailleurs, cela encourage une réflexion sur les massifs floraux traditionnels, qui demandent beaucoup d’eau et d’efforts d’entretien, pour pouvoir les faire évoluer vers des arrangements plus durables.
_______
Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans Terre&Nature.