LATITUDES

Autisme : agir tôt et fort

Les troubles autistiques touchent une naissance sur 100. Des méthodes originales sont développées pour en détecter les symptômes et prendre en charge les enfants. Exemples à Lausanne et À Genève.

Dans le film Hors Normes, les réalisateurs Olivier Nakache et Éric Toledano ont voulu apporter une vision plus juste des troubles autistiques. Ils ont engagé, aux côtés de comédiens professionnels comme Vincent Cassel, des personnes véritablement atteintes d’autisme, parfois à un degré sévère. Une nouveauté dans le monde du cinéma qui avait tendance, comme dans Rain Man, à mettre en scène des personnages autistes avec des capacités mentales spectaculaires. « Ces cas représentent pourtant une minorité, précise Nadia Chabane, directrice du Centre cantonal autisme (CCA) dans le canton de Vaud. La majorité possède, au contraire, un retard mental important, des difficultés à s’exprimer, ou est même dans l’impossibilité de former des phrases. »

Le taux suisse se situerait entre 0,8 et 1% de la population totale. Plus d’un quart des cas présentent un trouble autistique important dès l’enfance, selon un rapport établi en 2018 par le Conseil fédéral. « Les causes précises ne sont pas élucidées, et les frontières de l’autisme sont en constante évolution, écrivent les auteurs du rapport. En revanche, nous savons aujourd’hui qu’il s’agit d’un trouble neurodéveloppemental. » Impossibles à guérir, les troubles du spectre autistique peuvent cependant être pris en charge. Depuis quelques années, la piste de l’intervention précoce est explorée en Suisse. À Genève d’abord, en 2010, avec un premier centre consacré à cette méthode développée par les psychologues américaines Sally Rogers et Geraldine Dawson. La méthode de l’intervention précoce est fondée sur une technique comportementale basée sur le « modèle de Denver » où la prise en charge compte un spécialiste pour un enfant, à raison de 20 heures par semaine durant deux années. Le jeune patient est ainsi stimulé dans l’acquisition de compétences communicatives et sociales basiques. En 2014, un projet pilote a inclus six centres dans toute la Suisse (dont celui de Genève), afin de mesurer l’impact de cette approche intensive. À Lausanne, le Centre cantonal autisme est reconnu par l’assurance invalidité depuis l’an dernier et fait désormais également partie du programme, visant à étudier les effets d’un modèle d’intervention précoce intensive sur l’intégration de l’enfant.

 Suivre le mouvement des yeux 

« Pour optimiser ce type de dispositif, il est important de se concentrer sur le diagnostic, précise Nadia Chabane. Cela demande une collaboration étroite entre les pédiatres, les éducateurs et les spécialistes des troubles de l’autisme. » Si les manifestations sont diverses, les troubles du spectre de l’autisme ont pour dénominateur commun une difficulté au niveau de la communication et des interactions sociales combinée à des intérêts restreints ou à des comportements répétitifs. Une longue série d’examens permet de confirmer ce diagnostic. Des outils, tels que l’eye-tracking, ont été développés pour faciliter les recherches. Un récepteur infrarouge permet d’enregistrer ce qui capte le regard du patient lors de la projection d’un dessin animé. « Les enfants situés sur le spectre ne s’attardent pas, comme il serait attendu, sur les échanges de regards entre les protagonistes, mais sur des objets annexes, indépendants à la compréhension de la scène sociale », explique Marie Schaer, chercheuse à l’Université de Genève et spécialiste du sujet.

Une fois le diagnostic posé, l’enfant peut rejoindre un centre spécialisé dans l’intervention précoce. « Le pari est d’agir au moment où la plasticité cérébrale est la plus grande, souligne Nadia Chabane. Entre 2 et 4 ans, le cerveau de l’enfant possède une capacité d’adaptation qui permet d’agir de façon efficace. » L’antenne du Centre cantonal autisme située dans le complexe hospitalier du CHUV est gérée par une équipe pluridisciplinaire et possède une capacité de dix places accueillant les enfants durant vingt heures par semaine. Similaire à une garderie ordinaire, l’espace possède pourtant quelques spécificités. Pour aider les jeunes patients à se concentrer sur une seule chose à la fois, les salles de thérapie sont particulièrement épurées. Aussi, les objets qui leur sont destinés sont visibles, mais placés en hauteur. « Cette mesure vise à stimuler la communication et apprendre aux enfants à désigner ce qu’ils souhaitent obtenir », explique Chloé Peter, psychologue pour le centre.

 Objectif école ordinaire 

La journée s’articule autour de séances individuelles, où chaque enfant est accompagné par un thérapeute, ainsi que d’activités permettant de les aider à développer leur autonomie, notamment lors des repas. « Pour les personnes atteintes de troubles du spectre autistique, se nourrir peut s’avérer compliqué. Le rapport aux différentes textures des aliments, par exemple, constitue souvent un obstacle. Un travail sensoriel autour de la bouche et de l’oralité avant de manger permet de désamorcer cette sensibilité extrême. » Cet apprentissage de la gestion des gestes du quotidien s’accompagne de sessions individuelles avec des éducateurs, des psychomotriciens, ou encore des logopédistes qui agissent en étroite collaboration. L’objectif principal est de fournir des outils pour que l’enfant puisse intégrer l’école ordinaire.

Le coût du dispositif se situe entre 100 000 et 150 000 francs par an et par enfant. Actuellement, l’assurance invalidité, qui a reconnu le Centre vaudois, participe au financement à hauteur de 45 000 francs par cas, le reste est pris en charge par les cantons et les communes. Si un tel montant paraît élevé, il est important de le mettre en rapport avec l’efficacité du projet. Ainsi, le Conseil fédéral mentionne dans son rapport sur les troubles du spectre de l’autisme qu’il suffirait que 2% des participants au dispositif d’intervention précoce gagnent les outils pour vivre de façon indépendante et que l’investissement soit amorti. Car la prise en charge d’un adulte atteint de troubles du spectre autistique s’évalue à 25 000 francs par mois – sur cinquante ans, cela représente un coût de 15 millions.

À l’étranger, de nombreuses études témoignent de l’avantage économique de ce dispositif d’intervention précoce. Par exemple, une recherche menée par Nienke Peters-Scheffer, chercheuse en sciences comportementales à l’Université de Radboud aux Pays-Bas, montre que la mesure a permis de réaliser une économie de 1,1 million d’euros en moyenne par personne atteinte d’autisme.

Polémique autour des thérapies

Un article paru dans la NZZ en septembre dernier fait état des fragilités de la prise en charge précoce. C’est d’abord la capacité du nombre d’enfants pris en charge qui est mise en cause. En Suisse, seules 190 places sont disponibles en centres intensifs. Les autres auront seulement une séance de suivi d’une heure par semaine à domicile. L’accès aux centres s’avère également problématique pour les familles qui ne vivent pas à proximité et peut engendrer des coûts de déplacement importants. Plus encore, Monika Casura, experte en autisme, remet en cause dans le même article la transition du centre à l’école. Un enfant habitué à être encadré durant vingt heures par semaine par des adultes saura-t-il s’adapter à une classe de 20 enfants ?

Si l’autisme fait débat, c’est également par rapport au dispositif de soutien engagé par l’assurance invalidité. En effet, d’autres formes de handicap ne bénéficient pas de ce privilège. Le psychiatre Thomas Girsberger soulève ainsi la conséquence de ce soutien : certains pédiatres orienteraient leur diagnostic vers l’autisme, dans les cas peu clairs, car les thérapies offertes sont meilleures que pour les autres troubles. Pour Marie Schaer, active dans la recherche sur ces troubles à l’Université de Genève, ces critiques méritent d’être nuancées. « La Suisse est en retard sur le plan international. De nombreuses études montrent qu’il y a un véritable retour sur investissement. À Genève, on estime pour l’instant que le coût de ce suivi intensif est amorti à partir du milieu de la 3e année scolaire si l’enfant suit un cursus ordinaire, et entre la 6e et la 7e année s’il est en école spécialisée. »

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Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans In Vivo magazine (no 20).

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