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Steakophobie

Le débat sur l’initiative contre l’élevage intensif se focalise autour d’un sujet devenu ultra polémique en quelques années: la viande.

Haro sur la bidoche. Ainsi le veut l’air du temps. La violente et récente polémique française sur la prétendue virilité toxique qui se cacherait sournoisement derrière le moindre barbecue du dimanche, l’a montré: sujet brûlant. Qu’y frotte a tôt fait de se retrouver carbonisé.

En Suisse, c’est par le biais de l’initiative populaire contre l’élevage intensif que la steakophobie sort du bois. Sur le principe, le consensus est pourtant assez large pour vilipender les pratiques pas toujours sympathiques de l’élevage industriel. Difficile en effet de s’offusquer des buts affichés par les initiants composés de diverses associations et ONG: «Un hébergement et des soins respectueux pour que chaque animal puisse vivre selon ses besoins, un accès régulier à l’extérieur, des méthodes d’abattage dont la priorité absolue est l’absence de souffrance.»

Sauf que derrière ces bons et justes sentiments se cacheraient des intentions qui le seraient nettement moins. C’est l’avis par exemple de Prométerre. L’association de promotion des métiers de la terre soutient en effet que l’initiative émane «d’associations véganes et antispécistes», et que l’objectif ultime serait «d’interdire l’élevage et la production d’aliments d’origine animale comme la viande, bien sûr, mais aussi les œufs, le lait, le beurre ou le fromage». Bref l’élevage intensif serait un leurre: «Comme un texte rendant le véganisme obligatoire n’a aucune chance devant le peuple, les initiants ont pris pour cible les paysans.»

Ce qui est sûr, c’est que le débat autour de cette votation se focalise sur la viande, plus que sur des aspects techniques –la Suisse possède déjà une des législations les plus strictes en matière d’élevage– ou sur les conséquences de l’acceptation du texte, soit l’obligation pour toutes les exploitations de se mettre aux normes de Bio Suisse, ce qui en ferait forcément disparaître un certain nombre.

Cette obsession de la chair fraîche n’a rien d’étonnant, comme l’a rappelé dans «Le Temps» Isabelle Gangnat, spécialiste qualité de la viande à la Haute Ecole des sciences agronomiques bernoise. «Des êtres vivants doivent mourir pour que nous puissions manger de la viande. Aucun autre produit alimentaire n’est donc aussi émotionnel.»

On pourrait tranquillement invoquer une loi très naturelle. Avec pour preuve le fait que n’importe quel documentaire animalier tourne très vite au film d’épouvante. Le paradoxe veut que les amis les plus revendiqués de la nature ne s’offusquent pas de ces carnages quotidiens qui ont lieu dans la moindre forêt, le plus modeste plan d’eau, mais s’en indignent lorsque le prédateur est humain.

Deux choses paraissent à peu près certaines. D’abord les initiants, s’ils l’emportent, imposeront leurs propres choix alimentaires à tous, puisque le texte prévoit que les restrictions s’appliquent aussi aux produits importés. Qu’ensuite la viande, déjà très chère en Suisse, le deviendra encore plus et que ce sont évidemment d’abord les plus démunis qui se retrouveront contraints à un végétarisme forcé.

Il est fort compréhensible, cependant, qu’on puisse hésiter sur une question aussi sensible. Même Dieu, oui le Dieu de la Bible, a changé au moins trois fois d’avis. Après le déluge, voici ce qu’il dit à Noé: «Tout ce qui remue et vit pourra vous servir de nourriture: comme je vous avais donné l’herbe verte, je vous donne tout cela.» Bref on passe du stricte véganisme à un carnivorisme sans limites. Nouveau revirement divin, après la sortie d’Egypte: ne pourront plus être mangés que les mammifères qui ont «les sabots fendus et ruminent». Le chameau et le lièvre, ruminants sans sabots, et le porc, saboté mais non ruminant, sortent ainsi du menu. Quant aux insectes, seuls ceux qui «ont des pattes leur permettant de sauter» peuvent être consommés.

Et si, à force de circonvolutions morales, le futur alimentaire était là? Dans la sauterelle labélisée.