TECHNOPHILE

Plaidoyer pour les industries culturelles et créatives

La robotique et l’intelligence artificielle sont en train de donner un nouveau souffle à des domaines culturels comme la musique, l’archéologie ou le cinéma.

Récemment, j’assistais avec mes deux petites-filles à une représentation du Cirque Knie. Le traditionnel numéro des éléphants avait été remplacé par un poétique spectacle de drones, évocateur du domptage des grands pachydermes. La semaine suivante, je participais au deuxième Forum ArtTech à Genève, dont l’objectif était d’explorer les nouvelles interfaces entre les mondes de l’art, de la culture et de la technologie. Le professeur Raffaello D’Andrea de l’ETHZ y donnait un fascinant exposé sur le potentiel de la robotique et de l’intelligence artificielle (IA) pour les événements «live». Ce dernier est le fondateur de Verity Studios, la start-up zurichoise qui a justement monté le spectacle de Knie avec les drones. Small world!

Cet exemple illustre bien le potentiel de la technologie et en particulier de l’intelligence artificielle pour le domaine de l’art et de la culture. L’IA s’applique également bien au domaine de la musique. Ceci était illustré par la présentation de plusieurs start-ups, dont Muzeek, qui utilise l’intelligence artificielle pour créer de la musique adaptée à des vidéos en tenant compte du contexte de ces dernières. Ou NoMadMusic, une autre start-up dont la technologie permet de soustraire un instrument de musique de vos enregistrements préférés afin que vous puissiez jouer de votre instrument de prédilection sur le même enregistrement.

Les efforts déployés pour la sauvegarde de l’héritage des grands sites archéologiques représentent un autre exemple de l’impact de la technologie sur le domaine culturel. La start-up française Iconem, en étroite association avec Ubisoft, entreprise française de jeux vidéo et l’Université de Lausanne, présentait les résultats du relevé cartographique minutieux du fameux site archéologique de Palmyre en Syrie réalisé au moyen de drones quelques jours après le départ de Daech. Les données relevées permettent non seulement de constater l’ampleur des dégâts, mais aussi de reconstruire virtuellement le site et d’en produire une expérience immersive grâce aux logiciels de réalité virtuelle développés par Ubisoft. Ces résultats exemplifient la nécessité de récolter les données de l’ensemble des grands sites culturels sachant que, outre la dégradation du temps, la folie humaine peut être tentée à toute époque de les détruire.

La numérisation permet également la préservation d’autres patrimoines immatériels. Le corpus des archives du Montreux Jazz Festival, numérisé avec l’aide de l’EPFL, constitue un ensemble unique de big data pour la recherche sur la reconnaissance vocale ou visuelle. L’EPFL+ECAL Lab travaille actuellement sur la valorisation de ces archives. Nina, une voiture Smart dotée d’un écran panoramique, permet de revivre le festival et d’entrevoir comment le divertissement pourra se déployer dans les voitures autonomes de demain.

Un autre exemple saisissant a été donné par le laboratoire Disney de Zurich, qui utilise des techniques de traitement de l’image et d’intelligence artificielle autorisant l’insertion d’un acteur décédé dans le tournage d’un film. L’idée de personnaliser votre film avec vos acteurs préférés même décédés n’est plus une utopie.

Ces quelques réalisations illustrent l’apport important de la technologie, et en particulier de l’intelligence artificielle, pour le domaine de l’art et de la culture. En parallèle, il faudra cependant faire une plus grande place aux sciences humaines dans les curricula des hautes écoles technologiques, le défi du 21ème siècle étant de développer du contenu pour la technologie. Il est également très important de ne pas sacrifier ces sciences humaines au niveau de la formation secondaire au détriment des branches STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), ces diverses disciplines devant se nourrir mutuellement.

Enfin et surtout, la Suisse se doit de favoriser l’éclosion d’accélérateurs dédiés aux industries culturelles et créatives. Notre pays accueille d’excellentes écoles d’art et de design telles que la HEAD, l’ECAL ou la SKDZ. Leurs diplômés sont idéalement formés pour interagir avec les ingénieurs des hautes écoles suisses et favoriser l’éclosion de ce nouveau secteur économique. Reste à favoriser la constitution de fonds d’investissement pour le domaine ArtTech. Le succès économique de Spotify nous rappelle que les industries culturelles et créatives sont promises à un bel avenir.

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Patrick Aebischer, chercheur en neurosciences, a dirigé l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2000 à 2016.

Ce texte a été publié initialement dans la NZZ am Sonntag. Patrick Aebischer s’y prononce régulièrement sur des questions en lien avec la digitalisation et l’innovation.