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Les gendarmes de nos vies

Grâce la démocratie directe, le personnel politique peut se laisser aller à une marotte particulièrement compulsive: vouloir faire le bonheur d’un peuple assez stupide pour ne pas savoir où il se trouve.

La liberté de manger des cochonneries n’est-elle pas une liberté comme une autre? Il y aurait sur ce point sans doute de quoi débattre. Mais l’initiative des Verts «Pour des denrées alimentaires saines et produites dans des conditions équitables et écologiques» sur laquelle nous voterons le 23 septembre prochain, tuerait presque dans l’œuf – bio ou non- toute envie de réflexion.

Non pas parce qu’à nouveau on dérange le Peuple souverain pour un truisme tendance bisounours -personne sciemment ne rêve de manger des denrées malsaines produites par des esclaves. C’est un peu comme devoir se prononcer pour ou contre le ciel bleu.

Pas davantage en raison de cette hausse des prix éventuelle ni cette baisse présumée de l’offre que craignent les frileux opposants. Ni non plus parce que, comme l’a relevé le conseiller fédéral Alain Berset, l’arsenal législatif existant et déjà bien contraignant suffirait pour appliquer le texte de l’initiative. On a trop entendu ce genre d’arguments paresseux employés en général par ceux dont la principale volonté et le but majeur restent, en gros, de ne rien faire.

Surtout que dans le même temps le Conseil fédéral, sans craindre de dire tout et son contraire, objecte qu’il faudra mettre en place un système de contrôle compliqué, notamment concernant les denrées produites à l’étranger.

Ni même en raison du soupçon qui agitent ceux qui voient dans cette initiative une tentative sournoise des Verts d’imposer, horribile dictu, une vision végétarienne de la société. Encore moins parce que l’initiative viendrait contredire des traités internationaux et des accords de libre- échange, signés notamment avec l’OMC et l’Union européenne.

Ni, enfin, parce qu’on pourrait soupçonner une initiative soutenue à la fois par les Verts et l’UDC de ne pas être un modèle de cohérence.

Non, si cette initiative a de quoi hérisser le poil de l’honnête homme, ou de ce qu’il en reste, ce serait peut-être dans son principe. Le texte relève en effet d’une manie propre aux temps qui courent: celle du personnel politique de s’autoproclamer gendarmes de nos petites existences, de nos mauvaises habitudes et de nos narcissiques préférences. Au nom d’une science largement infuse qui semble autoriser ces messieurs dames à croire qu’ils savent mieux que nous ce qui est bon pour nous.

On connaît trop les poncifs vertueux de l’époque, martelés jusqu’à…plus soif: beaucoup de sport, peu de viande, encore moins de boissons alcoolisées, du bio à tous les rayons et étages. Comme si le consommateur ne possédait ni cerveau, ni libre arbitre. Comme si nous n’étions, tous tant que nous sommes, que des enfants irresponsables à protéger coûte que coûte de meutes de méchants loups tapis derrière chaque bosquet.

La polémiste française Natacha Polony s’apprête à publier, à ce propos, un pamphlet intitulée «Délivrez-nous du bien» que l’éditeur résume ainsi: «Au nom du Bien, on modifie le vocabulaire, on nie le plaisir, on criminalise le désir, on réécrit l’histoire. Ces nouveaux bigots, qui détestent l’Homme tel qu’il est et le rêvent selon leurs diktats, sont les idiots utiles d’un néolibéralisme qui atomise les sociétés et fragilise les structures traditionnelles pour mieux imposer sa vision manichéenne du monde».

On peut ne pas être d’accord avec ce constat à la hache. Mais on peut au moins se poser la question de savoir si embêter le monde constitue réellement la façon la plus efficace de le sauver.