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L’impassible Monsieur Brand

Ancien chef du service cantonal des migrations, le conseiller national grison est donné par beaucoup comme favori à la succession d’Eveline Widmer-Schlumpf, au cas où. Un drôle d’oiseau qui semble avoir oublié d’être malhabile.

Brand…Heinz Brand. C’est son nom. Qui ne disait rien à personne, de ce côté-ci de la Sarine en tout cas. Pensez donc, un ancien fonctionnaire de l’administration grisonne et qui n’en est qu’à son premier mandat de conseiller national. Mais voilà, Monsieur Brand propulsé par les journalistes — ce qui est rarement bon signe — comme favori à la succession d’Eveline Widmer-Schlumpf. Au cas où bien sûr le peuple d’abord puis le parlement consacreraient le droit de l’UDC à un deuxième siège au Conseil fédéral.

Un gars franc du collier, Monsieur Brand. Pour lui «durcissement de l’asile» et «amélioration de l’asile» sont parfaitement synonymes. Puisqu’on en est à des questions de vocabulaire, remarquons que «Brand», si l’on en croit les dictionnaires, cela voudrait dire, en bon allemand, «incendie». Tout un programme donc.

Sur le bonhomme, les avis sont partagés: «Un type courtois intelligent, réfléchi», s’enthousiasme la conseillère nationale vaudoise et socialiste Celsa Amarelle. «Ses idées me révulsent. C’est un vrai hard liner concernant l’asile. Il s’est battu pour que les déserteurs Érythréens n’obtiennent pas l’asile», s’agace, dépitée, la même Amarelle.

Monsieur Brand, il faut dire, sait souffler le froid et le chaud. Il n’a fait aucun cadeau aux Érythréens, certes, mais soudain, en plein débat sur la crise des migrants syriens, le voilà qui propose le principe d’une admission provisoire. Tout en soutenant le moratoire sur l’asile et le retour du contrôle aux frontières réclamé par l’UDC et rejeté par le Parlement. Sinon, en bon petit soldat blochérien, il affirme «placer le droit national au-dessus d’une extension incontrôlée du droit international» et que pour lui «la volonté du peuple suisse est au sommet des priorités».

La radicale Isabelle Moret n’est pas sans trouver aussi quelques solides qualités à ce monsieur Brand: «Ce n’est pas un UDC de base qui recrache les théories de son parti. Quand arrivent des propositions farfelues et exagérées issues de ses rangs, il recadre la discussion en voyant tout de suite où est le problème.» Mais bon, on connaît l’espèce d’envie fascinée que fait naître chez nombre de radicaux le franc-parler de l’UDC en matière d’immigration. Eux qui souvent n’en pensent guère moins, mais n’ont pas tout à fait le droit de le dire aussi crûment.

L’immigration en tout cas, c’est un sujet que Monsieur Brand est supposé mieux connaître que la plupart de ses congénères du Palais fédéral, tous partis confondus. N’occupait-il pas aux Grisons le poste de chef du service des migrations? D’où peut-être sa difficulté à suivre sur ces matières les farfelus de son propre camp. Néanmoins, quand on lui demande si attaquer le siège de sa compatriote grisonne et ex-camarade de parti Widmer-Schlumpf, ce ne serait pas un peu cavalier, il répond, crâne, qu’«il n’y a pas de tabou».

La question de l’étoffe autrement dit des réelles capacités de Monsieur Brand, par ailleurs président de Santésuisse, à endosser le costume de conseiller fédéral, est vite tranchée par les quelques parlementaires interrogés sur le sujet dans «24 heures»: «Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.» On en est là.

Juriste de formation, Monsieur Brand semble posséder sur le bout des doigts l’art du coupage de cheveux en quatre. Interrogé sur la convention européenne des droits de l’homme, que l’UDC vilipende à journée faite, il s’en sort par une élaborée pirouette: «Le problème, ce n’est pas la Convention européenne. Elle est tout à fait défendable et conforme à notre Constitution. Le problème, c’est sa jurisprudence, la manière dont elle est appliquée par les juges aujourd’hui. Ceux-ci interprètent la convention de telle sorte qu’on ne la reconnaît presque plus. Ils créent de nouveaux droits, comme celui de changer de sexe, par exemple.» Bref, je suis pour mais en réalité je suis quand même un peu contre. C’est comme les accords bilatéraux qui présentent, voyez-vous, «des avantages» mais aussi, c’est inouï, «des inconvénients».

Le signe peut-être que Brand est un candidat potentiel sérieux, c’est que les principales attaques contre lui émanent désormais de son propre parti où certains n’hésitent pas à le traiter «de profiteur» et à l’accuser d’être «incapable de défendre les valeurs de l’UDC». L’impassible monsieur Brand a une manière bien à lui de résumer la limpidité de la situation: tout cela, y compris sa propre candidature, «ce ne sont que des suppositions». Nous voilà moyennement rassurés.