LATITUDES

Vélos-cargos, pas que pour les bobos

Les ventes de vélos-cargos explosent en Suisse romande. Un essor qui soulève aussi des questions en matière d’aménagement des infrastructures.

Équipés de deux ou de trois roues, avec une benne à l’avant ou un porte-bagages allongé à l’arrière, les vélos-cargos électriques se croisent désormais à chaque coin de rue. Les ventes de ces modèles ont progressé de 184% depuis 2019, pour atteindre 4218 unités vendues en 2021 en Suisse, selon une étude récente de l’Observatoire universitaire du vélo et des mobilités actives (Ouvema) à l’Université de Lausanne.

L’enquête menée entre juin et septembre 2022 auprès de 955 utilisateurs de vélos-cargos par les chercheurs lausannois relève que 78% des répondants ont acquis leur vélo au cours des quatre dernières années. Près des trois quarts des personnes sondées sont propriétaires de leur véhicule, la part restante recourant à des offres de partage, comme la plateforme Carvelo2go (voir encadré).

Par ailleurs, 35% des acquéreurs ont bénéficié d’une subvention à l’achat, particulièrement en Suisse romande. À Genève, 1896 subventions ont ainsi été délivrées à fin 2022, selon l’Office cantonal des transports, soit un budget de plus de 800’000 francs. Ces subventions connaissent un succès croissant, leur nombre ayant augmenté de 19% entre 2021 et 2022.

Aussi pour les pros

Romain Marandet, propriétaire et associé des cinq magasins Cyclable en Suisse romande, constate lui aussi l’engouement croissant: «Nous réalisons aujourd’hui 35% de nos ventes avec des vélos-cargos, contre 5% avant la crise sanitaire.» Les modèles de type longtail (avec un porte-bagages arrière allongé) sont les plus vendus par l’enseigne (60%), suivi des biporteurs (30%) et triporteurs (10%). Il faut compter environ 6000 francs pour un longtail «bien équipé», un critère essentiel au moment de l’achat, souligne le spécialiste

La majorité des acheteurs sont des familles avec de jeunes enfants, mais le directeur de Cyclable remarque un intérêt croissant de la part des professionnels, qui représentent désormais environ 15% de sa clientèle. «C’est un phénomène récent. Dernièrement, nous avons par exemple équipé un cabinet de physiothérapeutes d’une flotte de dix cargos longtail, et recevons aussi toujours davantage de demandes de la part de maraîchers ou d’artisans.»

Ce boom des ventes pose néanmoins des problèmes en matière d’infrastructures. La faîtière Pro Vélo Suisse note que les principaux obstacles pour exploiter le potentiel des vélos-cargos concernent les restrictions légales (poids, largeur des véhicules), la taille des pistes cyclables et la disponibilité des places de stationnement. L’association propose notamment à la Confédération de rendre accessibles les places de stationnement pour voitures aux vélos-cargo.

Élargir les pistes

Un avis partagé par Christine Jeanneret, coordinatrice de la section genevoise de l’association. «Pour répondre à l’usage croissant de ces véhicules, il est notamment indispensable d’élargir les pistes cyclables, de manière à sécuriser les dépassements, tout comme il faut arriver à mieux séparer les flux entre piétons et vélos, au risque d’exacerber les tensions entre les différents usagers.»

Le Canton de Genève prévoit lui aussi de développer de nouveaux aménagements plus sécurisés. À ce sujet, le Grand Conseil a voté un crédit d’étude de plus de 20 millions. «Les projets actuels du tram des Nations et du bus à haut niveau de service (BHNS) Genève – Vernier – Zimeysaver prévoient déjà des aménagements cyclables répondant à ces critères, précise Sébastien Deshusses, porte-parole de l’Office cantonal des transports. Ils seront réalisés dans les prochaines années. De récents aménagements en Ville de Genève, comme celui réalisé en 2022 sur l’avenue Pictet-de-Rochemont, propose également des gabarits plus confortables permettant le dépassement.»

Plateforme de partage

Lancée en 2015 sous forme d’un projet pilote par l’Académie de la mobilité du Touring Club Suisse, la plateforme Carvelo2go compte aujourd’hui près de 36’000 utilisateurs enregistrés. Plus de 400 vélos-cargos sont disponibles à la location dans une centaine de villes et communes suisses. Des petits commerces, boulangeries ou cafés de quartier sont les hôtes responsables des véhicules. «Pour les villes en particulier, les cargobikes partagés sont une bonne option, notamment pour relever les défis de la logistique urbaine et afin d’offrir une alternative de mobilité réaliste à la population, explique Laurent Pignot, porte-parole du TCS. C’est pourquoi de nombreuses villes nous ont soutenus dès le début dans notre projet.» La plateforme prévoit de densifier encore sa flotte dans les grandes villes. «Nous développons également de nouveaux projets pilotes, comme la location de camionnettes électriques, qui nous permettent de diversifier notre offre. Aussi, nous offrons désormais une solution technique pour retirer le vélo-cargo en libre-service là où il n’y a pas d’hôte disponible.»

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Efficace dans un rayon de 2 km

Questions à Sébastien Deshusses, porte-parole de l’Office cantonal des transports à Genève.

Comment les vélos-cargos s’intègrent-ils dans la vision de la mobilité urbaine à Genève?

Le canton souhaite encourager l’usage du vélo-cargo pour les particuliers et pour les professionnels, en complément de véhicules motorisés classiques. De plus en plus de commerces et d’artisans se dotent d’une flotte de vélos-cargos pour leurs livraisons ou leurs interventions en milieu urbain, ce qui leur permet d’être plus efficaces à moindre coût. Néanmoins, les vélos-cargos ne peuvent pas remplacer l’entier des flottes de véhicules professionnels. Certaines marchandises – trop lourdes, volumineuses, nécessitant le respect de la chaîne du froid – devront toujours être acheminées en véhicule classique. Par ailleurs, on estime que le vélo-cargo est efficace dans un rayon de 2 kilomètres, raison pour laquelle son développement est attendu principalement au centre-ville et à proximité.

Quels sont les plans du Canton pour répondre à ce développement en matière de stationnement?

Des places spécifiques pour les vélos-cargos sont d’ores et déjà disponibles dans la plupart des vélostations du canton. Des privés ont également franchi le pas, comme le M-Parc à Carouge qui propose des emplacements spécifiquement pour les vélos-cargos. Le règlement relatif au stationnement sur fonds privés (RPSFP) dont la révision a été adoptée par le Conseil d’État en mai 2023 exige que l’offre en stationnement vélo dans les nouvelles constructions prévoie entre 10% et 20% de places adaptées aux vélos-cargos.

Par ailleurs, l’Office cantonal des transports a mis en place un projet pilote de logistique urbaine à vélo-cargo, en partenariat avec les communes de Carouge, Grand-Saconnex et Meyrin et l’entreprise OvO logistique urbaine. Ce projet «nano-hubs», qui arrive à son terme en fin d’année 2023, consiste à déposer de petits containers sur l’espace public afin de faciliter le transbordement de marchandises des camions vers des vélos-cargos, pour une distribution décarbonée du dernier kilomètre. Le projet permettra de tirer des enseignements concernant la rentabilité économique et l’acceptabilité par la population, et pourra être pérennisé et développé en cas de succès.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans la Tribune de Genève.