LATITUDES

Le toc ou la maladie du doute

Pathologie trop souvent sous-estimée, le trouble obsessionnel compulsif concerne pourtant de nombreuses personnes qui ne peuvent pas bénéficier d’une prise en charge adaptée.

On ne s’imagine pas que, pour certaines personnes, il est impossible de quitter un appartement sans prendre une photo des lampes éteintes. Et d’y retourner malgré tout pour vérifier que rien n’est resté allumé. En partir, puis y retourner, encore une fois, parfois pendant des heures. On ne s’imagine pas que certaines personnes peuvent passer sept heures par jour sous la douche, huit heures à nettoyer un logement, jusqu’à en dévisser les plinthes, craignant qu’il reste de la poussière dessous. Alors qu’il touche 2 à 3% de la population, le trouble obsessionnel compulsif (TOC) reste une affection peu connue. « La population concernée est pourtant considérable, dit Julien Elowe, médecin-chef au Service de psychiatrie du CHUV. En comparaison, le nombre de personnes atteintes de schizophrénie représente 1 à 2% de la population. Pourtant, on en parle davantage. » Le TOC se divise en deux parties. Il y a l’obsession, une pensée souvent intrusive et persistante, et la compulsion, un comportement mis en place par la personne pour désamorcer l’anxiété liée à la pensée obsédante. « Je dis souvent à mes patients : ce que vous vivez, tout le monde le vit, mais chez vous, c’est devenu incontrôlable. »

De la routine à la maladie

Mais comment savoir quand un rituel, une habitude ou une routine devient un TOC ? Pour Margaux*, 40 ans, il a fallu beaucoup de temps pour comprendre ce dont elle souffrait. « Déjà enfant, je réalisais des petits rituels, notamment en lien avec la superstition et les pensées magiques. Je faisais fréquemment le signe de croix pour qu’il n’arrive pas de malheur. » L’excès d’anxiété dont elle souffre amène la famille à consulter un pédopsychiatre qui ne relèvera rien de particulier. Plus tard, à l’âge de 19 ans, elle fait face à une augmentation importante de son TOC en lien avec le stress des examens de maturité. « Je passais plusieurs heures par jour à faire le ménage. J’ai alors consulté un autre psychiatre qui a posé un diagnostic, mais comme il n’était pas spécialisé dans le traitement des TOC, il m’a juste prescrit une forte dose d’antidépresseurs. Je n’avais plus de TOC, mais je souffrais terriblement des effets secondaires des médicaments. »

Malgré son trouble, la jeune femme parvient à suivre des études et à se former en tant qu’enseignante. L’arrivée du Covid-19, et les contraintes liées à la limitation de la propagation du virus, marquera un tournant. « Le fait d’être confinée à la maison, où mon TOC se manifeste le plus, a été particulièrement complexe. Et je n’avais plus accès aux thérapies que je suivais. »

Prise en charge lacunaire

Pathologie des jeunes – puisque l’âge médian des personnes concernées est de 19 ans et que, dans 25% des cas, les TOC commencent avant l’âge de 10 ans –, ce trouble est pourtant souvent repéré trop tard. Une situation vécue par Agathe Gumy, fondatrice de l’association Tocs passerelles, dont la fille a souffert de TOC. « Au moment où le trouble a été identifié, je ne connaissais absolument pas cette maladie. Et à l’époque, on ne trouvait sur internet aucune information liée aux TOC en Suisse. Aujourd’hui encore, il n’existe en Suisse romande aucun centre ou service hospitalier spécialisé. »

Souvent, les personnes concernées ne savent donc pas vers qui se tourner et éprouvent de la honte à en parler. C’est également le cas de Margaux*, qui passe aujourd’hui encore entre huit et dix heures par jour à faire le ménage et divers rituels. « Ma plus grande phobie était d’être internée, qu’on me considère comme folle. En plus de consacrer énormément de temps au nettoyage, je passe quotidiennement deux à trois heures à faire des listes mentales, et si je suis interrompue, je dois tout recommencer à plusieurs reprises pour vérifier que tout est en ordre dans ma vie. »

Le caractère chronophage du TOC génère une souffrance énorme et peut rendre la vie sociale et professionnelle impossible. « Au travail, je n’en ai jamais parlé. J’ai dû réduire mon taux d’emploi à 60%, et j’avais constamment honte d’avoir l’air aussi épuisée alors que j’enseignais seulement à temps partiel. Puis ma fatigue a pris une telle ampleur que je n’avais pas d’autre solution que de me mettre en arrêt. »

Pour Julien Elowe aussi, les structures spécialisées manquent. « La prise en charge ambulatoire est largement insuffisante. L’idéal serait de pouvoir proposer des traitements intensifs. » Une solution pour laquelle avait opté Agathe Gumy au moment où le mal-être de sa fille l’avait poussée à la tentative de suicide. « Nous nous sommes rendues en France à la Clinique Lyon Lumière, équipée d’un service spécialisé dans le traitement du TOC. Mais à ce moment-là, nous ne savions pas qu’il était recommandé de continuer la thérapie par un suivi psychothérapeutique. »

Actuellement, ce qui fonctionne le mieux pour accompagner les personnes souffrant d’un TOC est d’appliquer la technique d’exposition avec prévention de réponse. Une méthode psychothérapeutique comportementale qui consiste à confronter les patient·e·s à la situation qui génère le TOC, en les encourageant à limiter le rituel généralement réalisé. Dans le cadre de son travail pour l’association Tocs Passerelles, Agathe Gumy reçoit une à quatre demandes par jour. La structure propose des pistes pour mieux comprendre la maladie et orienter les personnes concernées vers les thérapeutes spécialisé·e·s.

Des tables rondes sont également mises en place. « Quand j’ai entendu un autre participant raconter son expérience, je n’ai pas pu retenir mes larmes, raconte Margaux. Pour la première fois, j’ai pris conscience que le TOC est une maladie. » Pour Agathe Gumy, il est urgent d’informer et de former les professionnel·le·s de la santé au sujet de cette pathologie et notamment les pédiatres. « Le diagnostic du TOC n’est pas difficile à poser et il est capital de prendre en charge le trouble avant qu’il prenne trop d’ampleur. » Pour élargir les possibilités thérapeutiques, Margaux souhaite suivre une psychothérapie assistée par psychédéliques. « J’ai eu mon premier rendez-vous aux HUG en octobre dernier, mais mon dossier est toujours en attente. » Une latence difficile face à l’urgence de pouvoir retrouver des conditions de vie supportables, et reprendre le travail. /

* prénom d’emprunt

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 27).

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