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Battre la campagne

Le débat «extraordinaire» sur l’immigration qui s’est tenu aux Chambres a surtout révélé un électoralisme encore plus extraordinaire.

«Extraordinaire.» Ainsi était officiellement intitulée la passe d’armes qui vient d’avoir lieu aux Chambres fédérales: «débat extraordinaire sur l’immigration».

Extraordinaire, il l’a bien été, dans le sens où les élus ont démontré, comme rarement, que les périodes électorales étaient peut-être bien le talon d’Achille des systèmes démocratiques.

La pêche aux suffrages, à moins d’un mois du scrutin fédéral, semble avoir en effet sur les députés, qui s’apprêtent à jouer leur peau, deux effets principaux et inverses qui rendent tout débat à peu près impossible: la précipitation et la tétanisation.

Ainsi a-t-on vu le PLR déposer à la hâte une motion carrée et sans nuance, digne de l’approche migratoire à la hache dont l’UDC s’est depuis longtemps fait une spécialité.

Ce n’est pas la première fois qu’on voit les libéraux-radicaux courir derrière les nationalistes à l’orée d’une échéance électorale, pensant, sans doute à tort, que sur un thème aussi clivant que l’immigration, proposer une ou deux solutions simplistes ne saurait nuire.

Que voulait la motion PLR? Que les demandes d’asile déposées en provenance d’un Etat sûr ou d’un Etat tiers où le requérant a séjourné plusieurs années, soient systématiquement et par principe rejetées.

Elisabeth Baume-Schneider, la conseillère fédérale en charge du dossier, a plaidé en vain la nuance et le cas par cas dans une affaire où, quoi qu’on en pense, il s’agit bien de situations humaines, avec toute la complexité que cela implique.

La Jurassienne faisait valoir qu’il ne serait peut-être pas sot de laisser au moins «un peu de marge» au Secrétariat d’Etat aux migrations. Mais la proximité des urnes rend une notion aussi subtile que celle de «marge», à peu incompréhensible à des élus ne cherchant plus qu’une chose: impressionner fortement leurs électeurs. C’est ainsi qu’à la hâte, le Conseil national a validé la motion PLR.

L’UDC ne pouvait laisser, sur cette question, le monopole de la surenchère au PLR. Elle s’est donc fendue de deux textes bien saignants proposant la vieille mesure des contingents migratoires annuels et l’externalisation des demandes d’asile hors d’Europe «pour que moins de personnes arrivent sur le territoire».

La gauche tétanisée, comme chaque fois qu’il s’agit de restreindre, même d’un iota, le flux migratoire, et songeant sans doute à son électorat peu enclin à goûter un soutien quelconque à toute proposition UDC, s’est empressée de rejeter le texte.

Le Centre et la droite libérale ont fait de même, se disant sans doute que, pour leurs frileux électeurs, de droite mais sur fond proclamé d’humanisme, c’était peut-être pousser le bouchon un peu loin.

La gauche ensuite, prenant au mot une UDC qui proposait d’aider «sur place» plutôt que d’accueillir des réfugiés, a suggéré le principe d’une aide humanitaire à l’Ukraine. De quoi tétaniser aussitôt la droite dans son ensemble: la proposition était renvoyée en commission pour «clarifications juridiques».

Pas besoin de clarification de quelque ordre que ce soit en revanche pour comprendre que l’immigration et le système de l’asile, devenus à peu près aussi incontrôlables et politiquement explosifs que le branlant échafaudage de la LAMAL, aurait mérité plutôt un débat «ordinaire» d’où auraient été bannis, tant la question est importante et délicate, tout excès de zèle aussi bien que tout immobilisme.

Comme disait Flaubert, écrivain magistral mais esprit fort peu républicain, à propos d’un de ses amis en campagne électorale: «Il faut quand même avoir bien de l’ambition pour vouloir complaire au peuple souverain.»