KAPITAL

Elections fédérales 2023: les grands débats économiques (2ème partie)

Une vingtaine de candidats romands aux élections du 22 octobre prochain, majoritairement au Conseil des Etats, représentatifs des principales tendances politiques, livrent leurs analyses sur les grandes thématiques économiques. Europe, pénurie de main-d’œuvre, retraites, transition énergétique, égalité au travail ou conciliation vie privée et professionnelle, voici leurs propositions.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME.

_______

Retrouvez la première partie du dossier cialis generic mastercard

_______

«La cohésion sociale est primordiale au bon fonctionnement de l’économie»

Sergio Rossi, directeur de la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire de l’Université de Fribourg, décrypte les grands enjeux de la prochaine législature 2023-2027.

Quels défis macroéconomiques devraient préoccuper le Parlement à court terme?

Le renchérissement devrait demeurer l’un des enjeux macroéconomiques majeurs pour la Suisse l’année prochaine. L’augmentation des prix à la consommation aura un impact sur la consommation des ménages, et donc sur la situation économique des petites et moyennes entreprises dont les produits peineront à être écoulés. La hausse des primes de l’assurance maladie pèsera également sur le budget des Suisses, et devrait faire l’objet d’une attention particulière.

L’autre grand sujet concernera l’augmentation des taux d’intérêt, qui ne devrait pas intervenir avant fin 2023, mais pourrait être décidée en 2024 par la BNS. Une fois de plus, l’impact est double, sur les privés qui voient notamment leur loyer augmenter, comme sur les entreprises dont le coût des emprunts croît. Les élus fédéraux devraient, dans ce contexte difficile, rester attentifs à la réduction du taux de croissance du PIB, comme à l’augmentation du chômage et du taux de pauvreté engendrés par l’augmentation du coût de la vie.

Et à l’horizon 2027?

A plus long terme, soit à la fin de la prochaine législature et au-delà, un des grands défis résidera dans l’intégration sur le marché du travail des jeunes diplômés, mais aussi des nouveaux arrivants en Suisse. Les flux migratoires ne diminuant probablement pas en raison des guerres et du changement climatique, trouver un emploi pour ces personnes se révèlera indispensable afin d’enrayer la montée des populismes et garantir la cohésion sociale. Cette cohésion est primordiale au bon fonctionnement de l’économie. En outre, il faudra trouver une solution durable à une possible diminution des rentes de l’AVS et du 2e pilier, en raison notamment de carrières de moins en moins linéaires et de la suppression d’emplois due à la numérisation de l’économie. La dernière grande thématique concernera la transition écologique. Il conviendra de trouver des stratégies pour soutenir les entreprises qui ne polluent pas, afin d’enrayer le réchauffement climatique.

Face à ces enjeux, quels mécanismes devaient-être discutés à Berne selon vous?

Il faudrait des mécanismes en direction des ménages de la classe moyenne et des plus pauvres pour que leur pouvoir d’achat arrête de baisser. Une discussion autour d’une taxe sur les superprofits dans le domaine de l’alimentation ou de l’essence par exemple pourrait être lancée. Il serait aussi nécessaire de s’adresser aux PME qui ont tout fait pour sortir de la crise sans erreur stratégique et s’engagent dans la formation, dans la transition écologique ou dans le paiement de salaires corrects, y compris dans les régions frontalières comme le Tessin d’où je viens. Cela pourrait se matérialiser en une baisse de l’impôt sur les bénéfices. Réajuster la péréquation financière entre les cantons deviendra sans doute aussi nécessaire.

Enfin, la politique monétaire pourrait davantage être mise au service du bien commun. La Suisse s’est engagée en faveur de l’Accord de Paris sur le climat. Les banques qui prêtent à des entreprises reposant massivement sur les énergies fossiles pourraient être pénalisées par la BNS avec la fixation de taux d’intérêt négatifs sur leurs réserves. A l’inverse, les banques qui s’engagent dans la transition écologique, en finançant l’efficience énergétique des entreprises par exemple, pourraient voir leurs réserves mieux rémunérées, et la BNS pourrait leur octroyer des crédits à un taux d’intérêt plus faible.

_______

La cybersécurité enfin prise au sérieux?

Entre 2020 et 2022, la Suisse est devenue une cible de choix pour les hackers. Le nombre de cyberattaques a triplé, passant de près de 11’000 à plus de 34’000. «La cybersécurité n’est peut-être pas l’enjeu le plus sexy de ces élections, mais c’est l’un des plus importants», dit Charles Juillard (Le Centre/JU), candidat à sa réélection au Conseil des Etats. Il plaide depuis plusieurs années au sein de la commission de la politique de sécurité pour des mesures fortes. En ce sens, l’élu salue la décision de créer, dès 2024, un Office fédéral de la sécurité informatique. «Je crois que différents scandales, dont la fuite de données aux CFF par exemple, ont accéléré cette décision de la part du Conseil fédéral. En outre, la création d’un poste de secrétaire d’Etat à la sécurité civile, annoncée en avril dernier, permettra de coordonner les efforts de prévention et de réponse aux cyberattaques avec les entreprises, les collectivités publiques et les instances internationales.»

Cofondateur de l’entreprise informatique Liip, membre de la commission de sécurité au Conseil national, Gerhard Andrey (LesVerts/FR) a également milité pour la création d’un Office fédéral de la cybersécurité depuis 2021. «Avec plus de 6000 milliards de dollars volés en 2021 dans le monde, le piratage informatique est très lucratif pour les réseaux criminels. Les solutions passent par une culture de transparence et des normes plus contraignantes, comme l’annonce obligatoire des cyberattaques pour les infrastructures critiques dans la nouvelle loi sur la sécurité de l’information.» Pour le candidat au Etats, la Confédération, qui investit tout de même environ 1,5 milliard dans l’informatique chaque année, doit servir de modèle pour l’économie privée. «Elle peut par exemple commencer à utiliser des protocoles de transmission, qui garantissent que des paquets de données ne fassent pas des détours par des serveurs en Chine.» Le candidat au Conseil des Etats planche également sur la question de la gouvernance numérique. «Dans l’ère numérique, une gouvernance appropriée des données doit pouvoir être exigée des plus hautes instances dirigeantes, comme c’est le cas pour les finances.»

_______

Le poids des crédits COVID

Environ 8,5 milliards de francs, soit 55% du montant des crédits COVID cautionnés par la Confédération, doivent encore être remboursés. Or, en avril dernier, les débiteurs ont vu leurs mensualités passer de 0 à 1,5% (pour les crédits de moins de 500’000 francs) et de 0,5 à 2% (pour ceux de plus de 500’000). Cette adaptation s’appuie sur le taux directeur de la BNS et «incite à ne pas recourir aux crédits COVID-19 plus longtemps que nécessaire», selon le Conseil fédéral.

Olivier Feller (PLR/VD), candidat au National et élu actuel, s’en est plaint au gouvernement: «Je ne suis pas contre la décision d’adapter ces taux. Pour moi, ce qui n’est pas admissible, c’est l’ampleur de l’augmentation et l’absence de temps laissé aux entreprises pour s’y adapter. Trois jours séparent la décision du Conseil fédéral de sa mise en œuvre.»

Autre candidate au National, Estelle Revaz (PS/GE) s’est battue durant la crise COVID pour que des aides à fonds perdu soient accordées, plutôt que des crédits. Pour cette violoncelliste de renom et auto-entrepreneuse, la Confédération, qui a prononcé les interdictions de travailler, devrait logiquement rayer ces emprunts et prendre ses responsabilités en payant l’addition. «A défaut, il faudrait au moins accorder des aides aux petites entreprises résilientes, qui ont besoin d’innover, et à celles qui se montrent actuellement solidaires, en indexant les salaires au coût de la vie. Comme Credit Suisse, le tissu des PME suisses est lui aussi ‘too big to fail’.»

_______

La redevance TV en question

  • Le camp du oui. L’UDC, l’USAM et les jeunes PLR ont déposé en août une initiative populaire visant à fixer à 200 francs, au lieu de 335, la redevance radio TV. Cette proposition a aussi pour but de libérer les entreprises du paiement de la redevance (le montant de la taxe peut aller de 160 à 9’725 francs pour les sociétés, suivant leur chiffre d’affaires). Les soutiens à l’initiative, dont fait partie le candidat au Conseil des Etats Jean-Luc Addor (UDC/VS), souhaitent également «assurer aux chaînes privées de radio et de télévision la même contribution que celle prélevée actuellement sur le produit de la redevance».
  • Le camp du non. Une alliance «Pour la diversité des médias» s’est formée pour s’opposer à l’initiative. Elle compte plusieurs personnalités romandes du monde académique, culturel, ainsi que des politiciens comme les conseillers d’Etat Isabelle Chassot (Centre/FR), Olivier Français (PLR/VD) et Adèle Thorens (Verts/VD). «Un oui à l’initiative de réduction de moitié aurait pour conséquence une saignée de la radio et de la télévision suisses, avancent les membres de ce comité. Pour la cohésion de notre pays, la transmission des contextes, de la culture et du divertissement des quatre régions linguistiques est essentielle.»
  • Les défenseurs d’un contre-projet. Le Parlement se penchera sur la nécessité de proposer un contre-projet à l’initiative SSR «200 francs, ça suffit». Plusieurs élus comme Philippe Nantermod (PLR/VS) ou Olivier Feller (PLR/VD), respectivement candidats aux Etats et au National, y sont favorables. «Je suis contre le fait de d’abord couper les vivres et d’après fixer le cadre dans lequel la RTS évolue, remarque Olivier Feller. Il faut d’abord un débat général sur ses objectifs, puis fixer les moyens financiers pour y parvenir. Il faudrait proposer un contre-projet à l’initiative, qui pourrait par exemple supprimer l’obligation pour les entreprises de payer la redevance.»

_______

Trois candidats aux idées singulières

Sylvain Jaccard – l’apprentissage: clé de la transition énergétique

L’efficacité énergétique et les besoins en main d’œuvre de ce secteur font partie des grands thèmes de la campagne de Sylvain Jaccard (PVL/VD), candidat au Conseil national. «Il manque 87’000 personnes pour la rénovation des bâtiments, le remplacement des chauffages ou la pose de panneaux solaires, selon la haute école zurichoise. Pour remédier à cette pénurie, il faut proposer de nouvelles formations au niveau fédéral tenant compte des besoins urgents de l’économie. Celles-ci pourraient être plus courtes, comme un CFC de deux ans par exemple. Ensuite, il convient de financer des reconversions, en payant des formations continues et en aidant les entreprises en transition énergétique, comme celles qui passent de l’installation de chaudières à mazout aux pompes à chaleur. Enfin, il faut valoriser ces métiers auprès des jeunes en leur proposant de vrais plans de carrière.» Le Vaudois rappelle le manque à gagner de 7 milliards de francs pour l’économie s’il ne devait pas y avoir suffisamment de personnel.

Celui qui est aussi directeur romand de Switzerland Global Enterprise, organisme de promotion des entreprises suisses à l’étranger, constate la forte demande mondiale en produits suisses respectueux de l’environnement et juge cruciale la main d’œuvre étrangère pour y répondre. «Les entreprises helvétiques auront aussi besoin d’ingénieurs et de techniciens locaux et étrangers pour créer et fabriquer ces nouvelles technologies.» Toujours dans le domaine de la transition énergétique, le candidat souhaite simplifier les démarches administratives. Il s’engage aussi pour que la production autonome et la réduction de la consommation d’énergie deviennent plus intéressantes économiquement pour les entreprises. «Il faut soutenir financièrement les PME qui changent leurs comportements, voire même leur business model, tant que ces efforts entrainent des surcoûts pour elles.»

Philippe Nantermod – l’ouverture dominicale des magasins

Candidat au Conseil des Etats, Philippe Nantermod (PLR/VS) défend l’ouverture des commerces de proximité le dimanche, soit «les magasins de petite taille, qui n’emploient qu’un nombre limité de collaborateurs et dont l’assortiment est celui d’une épicerie». Le Valaisan a déposé une motion en ce sens à la chambre basse du Parlement, où il est élu depuis 2015. «Les consommateurs peuvent facilement s’approvisionner le dimanche dans les gares, les stations-service, les aéroports, ainsi que dans les régions touristiques. Avec ces premières ouvertures dominicales, les Suisses ont réalisé que le marché libre avait du bon. Et il serait juste désormais d’élargir cette offre dominicale ciblée et répondant à un besoin réel à toutes les zones périurbaines qui n’en disposent pas encore.»

Outre cette modification de la législation fédérale sur le travail le dimanche, le Valaisan met en avant ses propositions en faveur des PME dans le cadre de son mandat de conseiller national. «J’ai par exemple mené plusieurs interventions en vue d’alléger les émoluments de l’administration dans le cadre de l’office des poursuites, du registre du commerce ou du registre foncier, ainsi que pour améliorer l’accessibilité numérique de ces différents registres.» Le politicien de 39 ans, avocat de métier, cite également ses demandes d’allégement du contrat de travail. Il a notamment déposé une motion visant à créer, dans le code des obligations, un nouveau statut pour les travailleurs de plateforme indépendants. «Ils pourraient ainsi jouir à la fois de la flexibilité qu’ils désirent et d’une protection contre certains risques sociaux.» Le libéral-radical s’est, par ailleurs, engagé pour un assouplissement des contingents concernant les personnes en provenance d’Etats tiers, afin de diminuer la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs-clés de l’économie.

Sophie Michaud Gigon – stop à l’écoblanchiment

Pour la conseillère nationale Sophie Michaud Gigon (LesVerts/VD), candidate à sa réélection, les allégations trompeuses dans le domaine de l’environnement pénalisent aussi bien les consommateurs que les entreprises écologiquement vertueuses, car celles-ci «sont incapables de mettre en valeur correctement leurs produits ou services face à la concurrence pratiquant le greenwashing». La secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs regrette que la loi contre la concurrence déloyale ne permette pas de lutter contre ce phénomène d’écoblanchiment publicitaire. Pour elle, des travaux doivent être menés au Parlement pour aboutir à des directives claires et contraignantes en la matière.

De manière générale, la membre de la Commission de l’économie du National déclare avoir beaucoup apprès dans ce cadre, en particulier lors de la visite de PME. «De ces rencontres, je retiens notamment l’importance de soutenir davantage les entreprises se trouvant dans la phase ‘scale-up’, qui ont souvent du mal à trouver des financements pour la mise sur le marché de leur produits. Trop de sociétés suisses s’en vont à l’étranger à ce stade de maturité.» La Vaudoise a également fait passer une motion à la chambre basse en juin afin que le système de cautionnement de crédits bancaires soit élargi aux PME – et non seulement aux cleantech – pour faciliter leurs transitions écologique et numérique, que ce soit dans leur processus de travail comme de production. Dernier sujet important pour Sophie Michaud Gigon: l’action collective. «J’aimerais rendre possible le fait, pour des particuliers comme pour des petites et moyennes entreprises, de se mettre ensemble pour déposer une plainte. Des PME victimes de tromperies pourraient intenter une action en justice et obtenir des dédommagements. Si cet outil avait existé, des sociétés suisses possédant une flotte de véhicules VW auraient par exemple pu attaquer le constructeur allemand dans le scandale des moteurs truqués.»