GLOCAL

Coucou, le revoilou(p)

Avec une ordonnance jusqu’au-boutiste dans le cadre de la révision de la loi sur la chasse, le Conseil fédéral relance la virulence des polémiques sur le grand prédateur et encourage le dialogue de sourds.

Cela faisait longtemps. Certes les escarmouches n’ont jamais cessé à propos du loup, animal politiquement assez simple qui s’en tient, grosso modo, au bon vieux clivage gauche-droite, doublé des clichés ville-campagne, bobos-versus montagnards, écologistes contre éleveurs. Mais enfin, de compromis en compromis, de tirs de régulations en tirs de régulations, assortis de mesures de protection des troupeaux, l’affaire avait fini par perdre de son explosivité, pour ne pas dire par lasser les foules.

Sauf que la grosse artillerie vient d’être ressortie et que la virulence est de retour. Il faut dire qu’à la fois le parlement et le loup y ont mis du leur. L’animal en se multipliant – on compte dans tout le pays aujourd’hui 31 meutes, selon les associations, et 26 selon le Conseil fédéral, alors qu’il n’y a même pas trois décennies, l’affaire se résumait à la «bête d’Entremont». Et les Chambres en acceptant, en décembre dernier, une révision de la loi sur la chasse élargissant assez fortement les possibilités légales d’abattage.

Mais ce qui fâche aujourd’hui, c’est l’ordonnance que le Conseil fédéral a concoctée dans le cadre de la mise en application de cette nouvelle loi. Un texte qui provoque cris d’orfraie chez les défenseurs du loup et gros soupirs de soulagement chez ses adversaires.

«Insupportable offensive anti-loup, attaque frontale contre la biodiversité» s’étrangle ainsi la conseillère aux États verte Céline Vara. «Mesures nécessaires pour soutenir les éleveurs et la population des campagnes» se réjouit au contraire le conseiller national UDC Pierre-André Page, qui qualifie de «catastrophe» la croissance «exponentielle» du loup.

L’ordonnance prévoit que désormais tous les animaux d’une meute puissent être abattus alors que jusqu’ici seul un loup s’étant rendu «coupable» d’un nombre d’attaques précisément établi contre les troupeaux pouvait l’être. Le seuil du nombre de meutes pour tout le pays est fixé désormais à douze.

En attendant l’entrée en vigueur de la loi le 1er décembre prochain, ce sont les cartouches verbales qui s’échangent sans modération. «Vaste opération d’abattage des loups de ce pays», «exécution totalement immorale» s’agacent les uns. «Moment qu’on bouge et qu’on se rende compte que ces animaux se sont développés à vitesse grand V», «risque que les montagnes et les alpages ne se vident si des mesures aussi drastiques qu’indispensables ne sont pas prises» rétorquent les autres.

Ce qui sûr c’est que le Conseil fédéral a fait preuve d’une étrange précipitation, en réduisant à dix jours le délai de consultation, comme s’il souhaitait passer en force et s’asseoir sur l’avis non seulement des associations de défense du loup, mais aussi du peuple qui avait rejeté en 2020 la nouvelle loi sur la chasse.

Et surtout les sept sages, même par rapport à la loi concoctée par le parlement, ont inutilement chargé la barque. «La révision de la loi, adoptée en décembre 2022, était accompagnée de l’idée de mettre en œuvre des mesures de protection des troupeaux, ainsi que de prendre en compte l’effet positif de la présence du loup, notamment sur le rajeunissement des forêts de par la pression qu’il met sur les chevreuils et les cerfs. L’ordonnance balaie tout ça», explique le conseiller national vert Christophe Clivaz. Bref au lieu de viser le consensus, l’exécutif fédéral jette bêtement de l’huile sur le feu.

Ce qui est sûr aussi c’est qu’on ne réconciliera personne dans cette affaire. Peut-être parce que les deux camps ont également tort. Vouloir à tout prix protéger localement un animal très loin d’être en danger d’extinction au niveau de la planète et le protéger contre l’avis majoritaire des régions où le loup est présent ne relève pas d’une logique très foudroyante. Pour autant l’élevage ovin en haute montagne, principale victime du loup, n’a guère de sens économiquement ni écologiquement et décréter que le loup «n’a pas sa place» en Suisse est indéfendable philosophiquement.

Bref, le dialogue de sourds a de beaux jours devant lui, meute contre meute.