LATITUDES

La dictature du «do it yourself»

D’alternative à la consommation, le «do it yourself» s’est mué en une injonction qui gagne tous les secteurs de la société.

A Zurich, une exposition du Museum für Gestaltung permet de découvrir l’histoire du «do it yourself», ce mouvement qui incite à construire des meubles ou des objets soi-même. Immergés dans une atmosphère d’atelier de menuiserie, où règne une odeur de bois fraîchement coupé, les visiteurs ont sous les yeux (interdiction de toucher!) chaises, bibliothèques, lampes ou tables, inspirées de revues et de sites internet spécialisés toujours plus nombreux.

Le «do it yourself» (DIY) offre une alternative à la consommation de masse et s’inscrit dans la mouvance du développement durable. Mais il renvoie aussi au modèle des meubles en kit. Cet ensemble de pièces détachées à monter par l’usager est emblématique du travail de plus en plus mis à la charge de l’acheteur. Si vous acquérez un bien quelconque, il est fort probable qu’il se présente dans un superbe emballage compact et facile à manipuler, transport en container oblige. Et, bien que le vendeur vous ait assuré qu’il se montait sans difficulté, vous vous retrouvez à vérifier le détail des pièces fournies, à lire les multiples pages des notices de montage mal traduites et à essayer d’ajuster les pièces du Lego.

Que faire en cas d’échec? Retourner l’envoi en vrac à l’expéditeur? Courir chez le marchand de vélo qui a l’écrou qui manque ou chez le vendeur d’ordinateurs du quartier qui trouvera la solution au problème? Les témoignages de ras-le-bol de professionnels appelés au secours de paumés en tout genre se multiplient.

Le DIY n’évoque désormais plus seulement le géant suédois des meubles à monter soi-même et l’idéologie underground du mouvement punk. Ce mot d’ordre s’impose progressivement dans bien des secteurs de la société. Les citoyens consommateurs sont appelés à se transformer, bon gré mal gré, en prosommateurs (néologisme formé par la contraction de producteur et de consommateur).

Imprimer ses billets de train ou d’avion, payer ses factures par e-banking, enregistrer ses produits à une caisse sans caissière: un transfert du «producteur» vers le «consommateur» s’opère. Certains se réjouissent de cette tendance, synonyme à leurs yeux d’autarcie dans bien des registres de leur vie: autodiagnostic et automédication, usage de la 3-D, recours au MOOC, production d’électricité solaire, etc. D’autres subissent en revanche ces renvois croissants au DIY comme autant de «Débrouille-toi tout seul!».

Les premiers insufflent une nouvelle dynamique au concept de DIY qui évolue et se mue en «do it together» grâce à l’open source, aux forums d’échanges sur internet et aux fablab. Ces «makers» sont les acteurs d’une transformation de la société, d’une révolution même, à en croire l’économiste et essayiste Jeremy Rifkin ou le rédacteur en chef de «Wired», Chris Anderson.

Quant aux seconds, qui se posent en victimes de trop nombreuses injonctions au DIY, ils se reconnaîtront peut-être dans le phénomène décrit par David Le Breton. Le dernier ouvrage du sociologue français, «Disparaître de soi. Une tentation contemporaine», s’attache à ceux qui, arrivant au bout de leurs ressources pour continuer à assumer leur vie quotidienne, préfèrent voir le monde «d’une autre rive». Il qualifie de «blancheur» cet état particulier, hors des mouvements du lien social, où l’on disparaît un temps et dont, paradoxalement, on a besoin pour continuer à vivre. Confrontés à trop de DIY, ils optent pour un «laisser tomber» temporaire. Histoire de se délester un moment.