TECHNOPHILE

L’hydrogène à l’heure pile

A la fois solaire et électrique, la technologie du Groupe E et de Swatch se destine au marché mondial. Objectif: commercialiser un électrolyseur compétitif, destiné aux particuliers, et une pile performante pour les constructeurs automobiles.

Avec un prix du baril qui s’envole, et la préoccupation globale pour l’environnement, l’intérêt pour l’hydrogène comme alternative énergétique ne cesse de croître. S’il n’est pas une source d’énergie en tant que tel, l’hydrogène peut s’utiliser pour stocker de l’énergie sous la forme de ce que l’on appelle une pile à combustible. En fabriquant de l’hydrogène au moyen d’électricité «verte», provenant du solaire ou de l’éolien, on obtient une pile écologique qui ne rejette que de l’eau.

Cette technologie pose deux défis techniques principaux: optimiser le rendement de l’électrolyse (c’est-à-dire fabriquer un maximum d’hydrogène à partir d’un minimum d’électricité) et assurer un stockage efficace de l’hydrogène, qui est extrêmement volatil. Sur ces deux fronts, des entreprises suisses se sont distinguées ces derniers mois.

«C’est en quelque sorte un retour aux sources car la Suisse a été un pionnier mondial de la gestion énergétique avec la construction des grands barrages alpins, et nous pensons qu’elle peut reprendre une place de choix dans le développement d’énergies alternatives.» Philippe Virdis, le patron du Groupe E, producteur et distributeur d’électricité à Fribourg et à Neuchâtel, n’a pas eu peur de voir grand. Mais avec une modestie très helvétique: quand le défi s’est révélé plus important que ce que son entreprise lui semblait pouvoir affronter, il n’a pas hésité à faire appel à plus fort que lui.

Ainsi, quand son équipe de recherche et développement a mis au point un prototype d’électrolyseur particulièrement efficace, il s’est mis en quête d’un partenaire. «Nous n’avons pas une taille suffisante pour produire industriellement et commercialiser seuls notre technologie. Il y avait deux possibilités: vendre nos brevets à un grand groupe ou créer une alliance avec l’un d’eux. C’était en octobre 2006, et comme j’avais besoin de conseils, j’ai envoyé un mail à quelques industriels suisses de renom pour avoir leur avis. En 20 lignes, je leur ai demandé s’ils voyaient un avenir commercial à notre système et s’ils avaient des contacts à me conseiller pour la réalisation industrielle à grande échelle de notre technologie. Quatre jour plus tard, j’étais en vacances en pleine mer sur un voilier lorsque j’ai reçu un appel de Nicolas Hayek, enthousiaste.»

On connaît l’intérêt passionné du patron de Swatch pour la mobilité douce. Son groupe s’est d’ailleurs penché sur le développement de voitures hybrides, de la Smart, et de véhicules solaires (avec l’Ecole technique de Bienne) pour le World Solar Challenge en Australie dans les années 1990, ainsi que par la participation active dans le projet Solar Impulse. Il y avait donc une certaine logique à ce que les deux patrons se rencontrent et trouvent un terrain d’entente. Ils s’associeront dans une nouvelle société consacrée à la production et à la commercialisation d’un système révolutionnaire de stockage de l’énergie.

A la clé, la création en automne 2007 d’une holding baptisée Belenos Clean Power réunissant, outre SwatchGroup et Hayek Holding (majoritaires), le Groupe E et d’autres actionnaires variés et prestigieux: la Deutsche Bank, représentée par son patron Josef Ackermann, les Ecoles polytechniques fédérales, l’industriel Johann Schneider-Ammann et… l’acteur George Clooney.

Egérie des montres Omega (c’est ainsi qu’il connaît Hayek), Clooney participe à plusieurs projets écologiques d’envergure. Passionné par les défis technologiques notamment liés à la mobilité, il possède d’ailleurs l’un des rares roadsters électriques Tesla (un véhicule extrêmement performant développé aux Etats-Unis). Le secteur automobile devrait être associé, dans un deuxième temps, à la holding Belenos Clean Power. «Nous tendons la main aux constructeurs que nous voyons comme des partenaires et non comme des concurrents, dit Philippe Virdis. Si nous mettons au point le produit attractif prévu, je n’ai aucun doute qu’ils vont l’acheter. En Suisse, nous avons deux immenses chances: nous n’avons pas à lutter contre le lobby du pétrole ni contre celui des constructeurs automobiles. Nous fournirons donc des composants, construits en Suisse, pour les véhicules électriques du futur, mais nous n’avons pas l’intention de construire nous-même des voitures.»

S’associer avec plus grand que soi, les professionnels du Groupe E fribourgeois l’avaient déjà fait précédemment, en allant voir la centaine de chercheurs du centre Michelin Recherche et Technique installé pas loin de chez eux à Givisier (Fribourg). «L’intérêt pour la pile à hydrogène est venu à cette époque, il y a environ quatre ans. Les ingénieurs de Michelin travaillaient sur le véhicule écologique Hy-Light. L’alimentation du véhicule nous a logiquement intéressés et nous avons entamé une collaboration avec eux. En 18 mois, nous avons réalisé un prototype d’électrolyseur particulièrement efficace.» La première application de la pile à hydrogène sera la consommation domestique. «Notre électrolyseur, de la taille d’une machine à laver, doit pouvoir, avec un panneau solaire de 50 m2 installé sur le toit d’une villa, répondre à hauteur de 50% à 70% des besoins énergétiques d’une famille. Nous avons rapidement breveté notre technologie. Le coût, obstacle principal du système, devra être sensiblement abaissé par une production à plus grande échelle afin que le prix de vente soit attractif.»

L’association avec Swatch permettra de créer une usine produisant ce dispositif à moindres frais. Actuellement, une pile à combustible coûte entre 40’000 et 50’000 francs pour une durée de 500 heures. L’objectif de l’alliance Swatch-Groupe E est de mettre au point une pile plus fiable (40’000 heures d’utilisation) pour un prix plus bas (10’000 francs). La nouvelle usine produira, d’ici trois à cinq ans, d’une part une pile à combustible pour les constructeurs automobiles, et d’autre part une petite machine de production d’énergie vendue dans le commerce, pour les particuliers.

Belenos Clean Power s’intéresse par ailleurs aussi à la production de cellules solaires à haut rendement, premier maillon indispensable à cette chaîne énergétique propre. Une usine de production de cellules photovoltaïques sera construite en Suisse romande d’ici à 2009. Les cellules seront fabriquées en partenariat avec EM-Marin, filiale de Swatch spécialisée dans les puces à bas voltage. Les piles à combustibles, autre élément clé du dispositif, seront développées en partenariat avec l’institut Paul Scherrer, qui fait partie des Ecoles polytechniques fédérales.

Dans un secteur extrêmement porteur, la Suisse détient désormais toutes les cartes en mains: un savoir- faire ancestral, des technologies de pointe développées localement et une volonté économique portée par des actionnaires puissants et internationaux. Elle doit pouvoir désormais jouer un rôle de poids dans la nouvelle révolution énergétique.

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Le défi hydrogène

L’hydrogène n’est pas une source d’énergie (l’hydrogène sous sa forme H2 ne se trouve pas dans la nature), mais un vecteur, un moyen de transporter de l’énergie.

La pile à combustible dihydrogène-oxygène, dont nous parlons ici, produit de l’électricité à partir de la réaction chimique entre les deux substances. C’est un chimiste germano-suisse, Christian Friedrich Schönbein, qui en a découvert le principe en 1838. La réaction chimique utilisée est particulièrement propre puisqu’elle ne produit que de l’eau. Une des difficultés majeures de cette technologie réside dans la synthèse et l’approvisionnement en H2. L’hydrogène n’existe en grande quantité que combiné à l’oxygène (H2O), au soufre (H2S) et au carbone (combustibles fossiles de types gaz, charbon ou pétrole). La production de dihydrogène nécessite donc soit de consommer des combustibles fossiles (ce que l’on souhaite précisément éviter), soit de disposer de grandes quantités d’énergie (propre et à faible coût) pour l’obtenir à partir de la décomposition de l’eau, par voie thermique ou électrochimique.

Le dihydrogène est particulièrement difficile à emmagasiner, tous les réservoirs étant poreux par rapport à cette molécule. On le stocke comprimé dans des bouteilles à gaz, ou liquéfié, ou combiné chimiquement sous forme de méthanol ou de méthane qui seront ensuite transformés pour libérer de l’hydrogène. Les rendements énergétiques cumulés des synthèses du dihydrogène, de compression ou liquéfaction, restaient jusqu’ici assez faibles. Par ailleurs, les piles à combustible sont aujourd’hui relativement onéreuses, notamment parce qu’elles nécessitent des quantités non négligeables de platine (sous forme d’une fine couche, le platine sert de catalyseur de dissociation de la molécule d’hydrogène).

Les grands constructeurs américains et japonais ont déjà mis en circulation des prototypes de véhicule utilisant de l’hydrogène comme carburant pour moteur à combustion interne conventionnel. Mais on admet désormais qu’il est plus efficace énergétiquement de l’utiliser comme moyen de stockage dans une pile que comme combustible.

Les catastrophes qui ont les touché dirigeables gonflés à l’hydrogène, comme le célèbre Hindenburg, posent la question de la sécurité. La nature fortement inflammable de l’hydrogène en présence de l’oxygène de l’air provoque un risque d’explosion quand il est stocké en quantité. L’hydrogène est cependant très volatil et se dissipe rapidement en cas de fuite. S’il entre facilement en combustion, les véritables explosions sont en fait très rares, et n’inquiètent plus vraiment les scientifiques.

Economiquement, mais aussi géopolitiquement, la migration d’une économie du pétrole vers une économie de l’hydrogène aurait des conséquences majeures, abordées notamment par le célèbre économiste Jeremy Rifkin dans son ouvrage «L’économie hydrogène». Eparpillée et décentralisée, la production d’hydrogène ne dépend plus de certaines régions du monde. On comprend alors très vite l’impact sur la donne géopolitique mondiale, en particulier les relations entre les pays consommateurs et les pays producteurs de pétrole actuels.

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Pile à hydrogène d’un nouveau genre

Jeune start-up romande, Hybiom a mis au point une technologie permettant de stocker l’hydrogène à des pressions plus basses. Résultat: une pile moins dangereuse, et aussi moins coûteuse.

On l’a dit, le stockage de l’hydrogène représente l’un des défis principaux de la pile à combustible. L’entreprise Hybiom est née des recherches de l’équipe du professeur Andreas Züttel de l’EMPA (institut lié à l’EPFZ). Plutôt que d’utiliser des bonbonnes, Hybiom a mis au point un système de tuyaux fins, remplis d’une poudre spéciale permettant de stocker l’hydrogène à des pressions beaucoup plus basses. «En 2005, dans l’équipe du professeur Züttel, j’avais participé à la réalisation d’un prototype, raconte Rainer Warth, directeur de Hybiom. Convaincus du potentiel, nous avons décidé de chercher des fonds afin de monter une entreprise.» Grâce au programme de promotion des start-up Venturelab, Hybiom est sur le point de lever 3 millions de francs suisses. «Nous n’allons pas monter une usine mais sous-traiter la fabrication de batteries utilisant notre technologie. Notre système permet de stocker de l’hydrogène à une pression de 5 bars au lieu de 200 bars dans une bonbonne classique. Il supprime l’étape de compression, coûteuse en énergie. Par ailleurs une compression plus faible assure une plus grande sécurité.» L’entreprise pense pouvoir mettre sa pile sur le marché en 2008 déjà.

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Swatch Group
Premier fabricant mondial de montres et de joaillerie, Swatch Group a atteint un chiffre d’affaires de plus de 5 milliards de francs en 2006. Outre les célèbres marques de montres (Breguet, Blancpain, Jaquet Droz, Omega, Longines, Rado, Tissot, etc.), il possède de nombreuses entreprises d’électronique et de sous-traitance mécanique dont Renata (batteries miniatures), Lasag (lasers industriels) ou Sokymat Automotive (composants RFID pour l’automobile).

Groupe E
Leader de la distribution d’énergie électrique en Suis­se romande, Goupe E est aussi numéro 1 dans le nombre de pompes à chaleur installées sur le marché romand. C’est pour diminuer la consommation globale en énergie fossile de ses clients que le groupe veut permettre à chaque habitant de produire sa propre électricité pour sa voiture et sa maison, à travers une combinaison de capteurs solaires, d’électrolyseur et d’une pile à combustible domestique.

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Une version de cet article est parue dans l’édition de janvier 2008 du magazine scientifique Reflex.