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Le syndrome de l’asperge mexicaine

Treize milliards pour les paysans, vive la politique agricole 2011! Une fois de plus, on évite de remettre en cause une activité condamnée par le marché, très polluante et qui concurrence déloyalement les régions les plus pauvres.

Les agriculteurs ont de la chance. Chaque quatre ans, la politique agricole, la PA, c’est-à-dire principalement le subventionnement des producteurs, est réexaminée. Et cela lors de la dernière année de la législature, soit en pleine période électorale.

Du pain, du lait et de la viande bénite donc pour nos paysans: confrontés à la perspective prochaine des urnes, les parlementaires, d’ordinaire si sourcilleux à invoquer la fragilité des finances fédérales, font soudain assaut de générosité.

Le Conseil national après le Conseil des Etats a donc augmenté de 150 millions le projet du Conseil fédéral pour la période 2008-2011, avec une enveloppe dépassant les 13 milliards.

Certes, les députés se sont faits un peu tirer l’oreille. La gauche et les Verts étaient contre, pour manifester leur mauvaise humeur envers des camarades laboureurs soupçonnés des pires turpitudes. Comme — c’est le conseiller national fribourgeois Christian Levrat qui le dit, lui qui a pourtant voté la plupart des volets de PA 2011 — «de ne pas respecter les normes écologiques et de refuser toute convention collective pour leurs employés».

A quoi, sur les ondes de RSR 1, un agriculture de Chappelle-sur-Moudon, Gérard Guignard, rétorquait «qu’habitué à travailler 80 heures par semaine, le paysan, quand on lui parle d’un contrat à 40 heures, il tousse ».

Les radicaux et surtout les UDC ont aussi un peu toussé, gênés par une disposition de PA 2011 (les importations parallèles de produits phytosanitaires qui porteraient ombrage à nos belles industries pharmaceutiques) et ont été tentés de refuser ce paquet-cadeau, soutenu sans réserve par le seul PDC.

Mais la ministre de l’économie Doris Leuthard a su trouver le genre de mots qui vont au droit au cœur d’un parlementaire soumis à réélection: «Comment allez-vous expliquer ça aux paysans?» L’enveloppe a donc finalement été postée.

Quant aux reproches faits aux paysans pollueurs, ce même Gérard Guignard a subtilement retourné l’argument, expliquant que les subventions accordés aux producteurs suisses permettaient d’éviter les importations lointaines, qui dégagent leur comptant de CO2.

Ou quand le bon sens terrien se double d’un talent marqué pour le surf sur les vagues porteuses de l’actualité.

Tant pis donc pour ceux qui s’obstinent à penser que le salut pour l’Afrique passe par son agriculture et donc l’abandon des soutiens étatiques massifs aux agriculteurs d’Europe.

C’est le paradoxe Bové: on fait un épouvantail de l’OMC, on dénonce le bulldozer agricole américain, pour mieux préserver les subventions européennes, sans vraiment se demander qui se retrouve d’avantage pénalisé par ce protectionnisme du vieux monde: le paysan sahélien ou le céréalier du Minnesota ?

La Suisse a aussi son Bové: Willy Cretegny, de Satigny, surnommé par certains « le don Quichotte des fermiers», qui avait déversé un tas de fumier en 2003 devant la maison du ministre l’économie Joseph Deiss et entame aujourd’hui une grève de la faim pour protester contre PA 2011, qu’il juge, lui, encore trop libérale.

Que dit Willy Cretegny? Que le libre marché oblige les producteurs à vendre au-dessous du prix de revient. Lui aussi brandit l’argument de la protection de l’environnement pour s’offusquer de la présence «d’asperges mexicaines en février sur nos étals».

La plupart des arbres généalogiques de ce pays fleurant encore bon la fumure, on évite pour l’heure de poser franchement la question de l’avenir d’une activité condamnée par le marché, et donc sans véritable légitimité économique, très polluante et qui concurrence déloyalement des régions ne possédant, elles, guère d’autres ressources, ni banques, ni or blanc ou bleu, ni forfaits fiscaux ou industries pharmaceutiques.

Autre évènement de la semaine: tandis que nos paysans se voyaient chouchoutés par le parlement, Moritz Leuenberger, lui, ouvrait son blog.

L’ancien journaliste Philippe Mottaz, directeur d’une entreprise de conseil et production média et multimédia, s’en est extasié. Il voit dans ce premier blog d’un conseiller fédéral une première brèche dans l’arrogance d’un gouvernement qui fonctionnait jusqu’ici «de façon distributive plutôt que participative».

Autrement dit en vase clos et avec un mépris à peine dissimulé pour les interrogations et aspirations de la société.

Il n’y a qu’à voir l’arrogance très «distributive» avec laquelle Pascal Couchepin sommait, au soir d’une bérézina appelée caisse unique, l’infortuné Pierre-Yves Maillard de «se mettre au travail et d’arrêter de polémiquer».

On en connaît quelques-uns pourtant dans nos campagnes qui continueront longtemps à plébisciter la vieille formule: un monde politique distributif, très distributif.