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Poggia, ou le miroir paradoxal

Les tribulations du nouvel élu genevois sous la Coupole montrent qu’il ne suffit pas d’avoir du talent pour réussir en politique. Encore faut-il maîtriser l’art sorcier d’acrobaties pas toujours reluisantes.

C’était le feuilleton politique de l’automne. Un tout petit feuilleton. Les aventures du nouveau sénateur Mauro Poggia sous la Coupole auraient en effet tout de l’anecdote minuscule, si elles ne disaient pas quelque chose du caractère hautement exotique du système suisse, tout en mettant en lumière les ressorts cachés de l’ambition en politique, et ne dévoilaient les arrière-cuisines, pas toujours ragoutantes, des partis.

Au départ de l’affaire, une amusante anomalie: un poids lourd, une bête électorale, porté par un micro parti, autant dire un éléphant batifolant dans un magasin de porcelaine. Certes le MCG compte à Genève, mais au plan fédéral – dont il est ici question – il a autant de signification et d’envergure que le POP ou le Parti évangélique.

Si l’on remonte un peu plus loin dans l’histoire, on se rend compte que tout était biaisé depuis le début. C’est par déception que Mauro Poggia intègre le MCG, formation anti-frontaliers créée par le sulfureux Eric Stauffer et se profilant comme une UDC à la sauce genevoise. Poggia, lui, venait du PDC, avec qui il s’est fâché pour une question de place sur une liste électorale.

Poggia ne faisait pas que venir du PDC. On se rend compte aussi, quand on l’écoute, qu’il en partage l’essentiel des valeurs, y compris la modération, l’art finaud du compromis à tout prix et le ni gauche-ni droite martelé soir et matin. Son entrée dans le MCG correspondait un peu à l’irruption d’un agneau centriste dans une meute populiste. Le plus drôle, c’est qu’à la fin ce sont les loups qui ont été dévorés, le chef de clan Stauffer en tête.

Elu au Conseil d’État genevois, Mauro Poggia est vite devenu le membre le plus populaire du gouvernement. Notamment en jouant, comme ministre de la santé, le rôle valorisant de chevalier blanc dressé contre l’hydre des caisses-maladies, défendant en la matière des positions plus proches de la gauche que de l’UDC, allant jusqu’à ne pas repousser l’idée de caisse unique.

Après dix ans de ce conte de fée, Mauro Poggia, en posant sa candidature pour siéger dans la Berne fédérale, prenait sciemment un risque peu citoyen: contribuer à ce que Genève ne se retrouve au Conseil des Etats qu’avec un seul véritable siège. Quel groupe parlementaire, sésame indispensable pour intégrer une commission où tout se décide, allait pouvoir en effet intégrer le trublion?

Lui-même convenait qu’avec l’UDC les divergences étaient bien larges, qualifiant même, comme le premier gauchiste venu, ce parti «d’extrême-droite». Mais il promettait qu’il trouverait bien une enseigne accueillante, prête à lui ouvrir grand les bras. Sous- entendu: qui oserait se priver d’un talent comme le mien?

Et c’est d’abord ce qui ne s’est pas passé. La wonder-girl verte Lisa Mazzone, dont l’impeccable parcours devait la mener à la présidence du Conseil des Etats, mord la poussière. Élu, Poggia trouve portes closes. Les discussions avec l’UDC tournent court. Comment s’entendre avec un type qui professe sur des sujets aussi majeurs que la santé, l’Europe ou l’immigration, le contraire de la doctrine?

Les autres portes ne se sont pas non plus entrouvertes, y compris au PDC, devenu Centre, où la réintégration de Poggia aurait eu pourtant, en matière de ligne politique, tout son sens. Peut-être parce que la rancune des centristes était trop forte, notamment de s’être trompé à ce point sur le potentiel de celui qui était alors un des leurs. Peut-être aussi parce que le Centre est dirigé par un philosophe sourcilleux, Gerhard Pfister, qui ne plaisante pas avec les principes.

Pendant quelques semaines, Poggia a erré comme un looser doublé d’un malotru, figure de l’ambition personnelle plombant l’intérêt général et puni pour cela.

Puis coup de théâtre, l’UDC se renie et intègre Poggia, s’étant rendu compte que la présence du genevois au Conseil des Etats lui permettrait de grapiller quelques strapontins supplémentaires en commissions.

Une fois de plus, Poggia l’acrobate retombe sur ses pattes. L’intelligence, l’aisance, pour ne pas dire le culot du bonhomme, ont eu raison de tous les obstacles. Comme quoi, c’est parfois au prix de basses compromissions, de feutrés reniements et de calculs microscopiques qu’un élu de valeur et d’envergure peut seulement trouver sa place dans les emberlificotés rouages de la politique suisse.

La morale de tout cela? C’est probablement qu’il n’y en a pas.