LATITUDES

Pourquoi la Suisse n’est-elle connue que pour ses röstis et sa fondue?

Victime des clichés qui la résument à quelques plats, la gastronomie suisse reste peu visible sur la scène internationale, malgré une grande diversité. Mais l’offensive s’organise pour changer cette image.

Elle a beau compter une densité rare de tables étoilées – 138 étoiles décernées dans la dernière édition du guide Michelin – et des chefs à la renommée internationale, comme Franck Giovannini, à Crissier, ou Andreas Caminada, à Schauenstein, la Suisse reste trop associée à une poignée de produits emblématiques pour faire de sa gastronomie un atout touristique.

Une étude du Monitoring du Tourisme Suisse, menée en 2017, montrait ainsi que seuls 2% des voyageurs qui se rendaient en Suisse y venaient en premier lieu pour des raisons d’ordre gastronomique. Or, selon la World Food Travel Association, la gastronomie est un argument de taille: plus d’un touriste sur deux dans le monde voyage pour découvrir la cuisine de son lieu de destination!

Diversité remarquable

«La Suisse a de la difficulté à échapper à une image traditionnelle, certes sympathique, mais trop étroite pour refléter la qualité de ses tables, regrette Josef Zisyadis, directeur de la Fondation pour la promotion du goût, installée à Lausanne. On en reste à des clichés alors que le pays s’appuie sur un patrimoine gastronomique millénaire bien plus riche.» Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme, ne dit pas autre chose en vantant « la diversité de la cuisine helvétique, marquée par des influences très différentes. On ne cuisine pas de la même manière dans le Valais, au Tessin ou dans les Grisons.»

Les grands standards, comme la fondue et les röstis, qui ont le mérite de servir l’image internationale de la Suisse, font de l’ombre à un nombre de spécialités impressionnant pour un si petit territoire. Pour citer quelques exemples romands, on nommera la Damassine du Jura, le gratin de cardons genevois ou la longeole, une saucisse composée de viande de porc et de fenouil, servie avec des pommes de terre au vin blanc.

La région alémanique n’est pas en reste avec, par exemple, les läckerlis, de petits biscuits à base de miel et de fruits confits qui font la fierté du canton de Bâle, ou l’émincé de veau typique des tables zurichoises. Très influencé par la gastronomie italienne, le Tessin décline ses propres versions de l’osso bucco, de la polenta, du risotto et du minestrone. Du côté des Grisons, la célèbre viande séchée, mais aussi la tarte aux noix ou les pizokels, des pâtes au sarrasin, font partie des classiques.

Un patrimoine d’autant plus vivant qu’il est sans cesse revisité, souligne Véronique Kenel: «La cuisine suisse compte beaucoup de plats généreux et revigorants qui rappellent son passé paysan et son caractère montagnard, mais les chefs contemporains cherchent constamment à les réinterpréter de manière plus légère.»

La place qu’elle mérite

La Suisse ne cherche pas à concurrencer des pays réputés pour leur gastronomie comme la France, l’Italie ou le Japon. Mais elle n’occupe pas la place qu’elle mérite: «Il manque une véritable volonté politique», regrette Josef Zisyadis, évoquant au passage le travail mené par les pays scandinaves dont les grands chefs trustent des podiums internationaux comme celui du Bocuse d’Or, avec neuf médailles d’or remportées depuis 1987 – la dernière, cette année, pour le Danois Brian Mark Hansen.

Une performance à nuancer, selon Véronique Kanel: «La gastronomie ne se résume pas aux étoilés. Le patrimoine helvétique, ce sont aussi les traditions régionales, des artisans d’exception, de petits restaurants… Il faut s’assurer que cette diversité reste accessible à tous.»

Ce qui n’empêche pas Suisse Tourisme de compter sur le relais des grands chefs pour assurer la promotion de l’excellence helvétique. Ces dernières années, des figures internationales comme l’Espagnol Jordi Roca (meilleur pâtissier du monde en 2014) et la Française Anne-Sophie Pic ont été conviés en Suisse, tandis que des chefs locaux ont été mis en avant, comme Franck Reynaud ou Andreas Caminada, visages en 2016 de la campagne Svizzera: l’eccellenza del gusto (Suisse, l’excellence du goût), lancée pour promouvoir la gastronomie et les produits suisses en Italie.

La Suisse à l’offensive

Un temps timide, coincée entre deux grands pays de bouche, la Suisse n’hésite plus à mettre en avant son patrimoine culinaire. Mais dépasser les clichés prend du temps. Pour faire de sa gastronomie un véritable atout touristique, les initiatives se sont multipliées ces dernières années, au travers notamment de la Semaine du goût, un événement populaire qui s’est traduit, pour sa 23e édition en septembre dernier, par l’organisation de 3’000 événements sur tout le territoire.

L’opération n’est que la partie émergée de l’iceberg, explique Joseph Zisyadis en évoquant les autres projets portés par la Fondation et ses partenaires, tel le Swiss Wine Tour, «un projet œnotouristique national innovant, conçu pour mettre en valeur l’offre viticole et touristique de chaque canton». Lancés en 2018, les Grands sites du Goût regroupent une grosse quinzaine de destinations gourmandes. Enfin, le prix du Mérite Culinaire Suisse distingue depuis cinq ans des acteurs des métiers de bouche, sur un modèle inspiré des Meilleurs Ouvriers de France. En tout, 32 professionnels ont ainsi été reconnus depuis 2018, dont les chefs Franck Reynaud, de l’Hostellerie du Pas de l’Ours à Crans-Montana, Pierrick Suter, du restaurant de la Gare de Lucens et Silvia Manser du Truube à Gais, en Appenzell.

À ces initiatives s’en ajoute enfin une autre, en bonne passe d’être concrétisée en 2024: l’inscription du patrimoine alimentaire alpin au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité de l’UNESCO. Portée par des partenaires répartis dans les pays de l’axe alpin, la démarche vise à faire reconnaître la qualité d’une cuisine riche, authentique et proche des terroirs montagnards.

C’est d’ailleurs bien sur cette authenticité que compte le secteur de la gastronomie et du tourisme pour se démarquer. Alors que la cuisine s’est largement internationalisée avec la globalisation, le regain d’intérêt pour les identités régionales, les racines culturelles et les traditions locales est indéniable: «En matière de tourisme, les métiers de la restauration viennent s’associer aux autres atouts du pays, estime Véronique Kanel. Avec une cuisine familiale et créative qui reflète la diversité de ses terroirs, la Suisse a de nombreux avantages pour être toujours plus présente sur la scène gastronomique internationale.»

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