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Ticket et tourniquet

Dans la succession d’Alain Berset au Conseil fédéral, ne restent officiellement en liste que le grison Jon Pult et le bâlois Beat Jans. Pour d’assez mauvaises raisons.

C’est assez habituel, un peu absurde, et pas spécifique au PS. Dans la succession d’Alain Berset au Conseil fédéral, les socialistes, pour composer leur ticket, ont commencé par éliminer les deux meilleurs candidats. Ceux en tout cas qui paraissaient avoir le plus d’épaisseur et d’expérience: la conseillère d’État bernoise Evi Allemann et le conseiller aux États zurichois Daniel Jositsch. Mis hors course avant même l’outsider romand Roger Nordmann, auquel, rééquilibrage linguistique oblige, personne n’accordait la moindre chance.

C’est dire si, à première vue, la compétence et le charisme ne sont pas les premiers critères privilégiés par les partis pour entrer au gouvernement. Allemann et Jositsch ont été éliminés pour des raisons assez futiles, eu égard au poste convoité. La bernoise parce que trop femme et trop bernoise –Berne et la gent féminine étant déjà largement représentés au Conseil fédéral. Comme si un Conseiller fédéral devait d’abord être le porte-parole d’un genre ou d’une région, ce qui ne figure pas, ou plus, dans la Constitution et n’a d’ailleurs pas beaucoup de sens.

Quant à Jositsch, c’est un réflexe idéologique primaire qui l’a fait passer d’entrée à la trappe. Le sénateur zurichois est en effet jugé par ses camarades comme trop social-libéral, autant dire pas assez gauche. On se trouve ainsi en présence d’un autre critère assez peu pertinent: les partis ne veulent surtout pas que ce soit leurs adversaires – le reste de l’Assemblée fédérale – qui choisissent leur candidat. Or ici, la Constitution est encore plus formelle: ce sont bien les Chambres et non les partis qui intronisent les Conseillers fédéraux. Il se trouve que, présent sur le ticket, Jositsch avait de grandes chances d’être élu.

Ce sera donc Jans ou Jon. Le jeune conseiller national grison Jon Pult et le moins jeune conseiller d’Etat bâlois Beat Jans. Le jeune grison, parce que jeune et grison, deux critères là aussi dont la pertinence ne saute pas aux yeux, et qui ne disent rien sur les capacités réelles du candidat à gouverner. Lors d’un Tour de Suisse effectué ensemble par les prétendants, une journaliste du Temps notait d’ailleurs cette pas forcément rassurante caractéristique à propos de Jon Pult: «Lorsque le vocabulaire lui manque, son enthousiasme prend le relais.»

L’enthousiasme, certes, peut-être, considéré comme une valeur largement de gauche. L’URSS n’avait-elle pas renommé une large avenue moscovite, «La chaussée des enthousiastes»? Comme style de gouvernement, c’est moins convainquant: pour conduire un navire dans la tempête, une tête froide semblerait préférable. Ce qui est sûr, c’est que l’expérience du grison est des plus minimes: quatre ans au Conseil national, où on ne l’a guère entendu.

Quant au bâlois Beat Jans, certes, on lui reconnait généralement outre son «énergie», une capacité à «maîtriser des dossiers touffus», et son «argumentation structurée». Qualités qu’il a pu démontrer au sein de la commission Economie du Conseil national, où il a siégé dix ans, avant de rejoindre le Conseil d’Etat bâlois. Mais la vraie raison qui a fait que Beat Jans, avant de subir les enthousiastes et muets coups de butoir de Jon Pult, a entamé la course dans la peau du favori est là encore son origine géographique: 50 ans que Bâle, un des rares cantons contributeurs nets à la péréquation, n’est plus représenté au Conseil fédéral.

Avec en sus, une sorte «d’injustice» encore fraîche à réparer: l’élection surprise l’an dernier d’Elisabeth Baume-Schneider, au détriment de la bâloise Eva Herzog autrement charpentée, intellectuellement et politiquement, que sa sympathique voisine jurassienne. Mais là encore, être bâlois ne révèle rien sur le talent à gouverner.

Cela dit, il est aussi assez habituel, un peu absurde et pas spécifique au PS, que, dans le tourniquet irrationnel que représente une élection au Conseil fédéral, un candidat falot, choisi pour de mauvaises raisons, s’avère un ministre plus robuste et moins lisse qu’imaginé. C’est un peu ce qui était arrivé avec le sortant du jour, Alain Berset.