LATITUDES

Allah, les cris aviaires et la linguistique

De «gügerügü» en zurichois à «kokekokko» en japonais, les cris aviaires ont posé des problèmes aux linguistes. Voyage sur la planète des onomatopées.

Pour une fois, voici une info où l’adjectif aviaire n’est pas associé à la grippe mais à un miracle. L’histoire nous arrive du Kirghizistan, ancienne république de l’URSS, en Asie centrale.

Ibraghim Ismatoullay s’apprêtait à sacrifier son coq pour en faire une bonne soupe quand le volatile s’est mis à hurler «Allah, Allah!» Un miracle aviaire! A peine l’affaire connue, les offres d’achat ont afflué sans que le propriétaire cède son coq. On peut écouter le chant de l’animal sur le tadalafil 20mg online de l’agence de presse Ferghana.ru, qui promet qu’il est authentique.

Franchement, après avoir visité l’exposition «Poules» au Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel (jusqu’au 15 octobre 2006), je n’ai pas trouvé cette nouvelle particulièrement insolite.

L’expo montre notamment le film «Cocoricos» réalisé par Denis Maurer. Il fait défiler devant la caméra quantité de personnes qui nous font connaître, dans leur langue maternelle, l’onomatopée imitant le cri du coq. Nos oreilles n’en reviennent pas.

Notre cocorico devient «gügerügü» en zurichois, «cock-a-doodle-doo» en anglais, «wo wo wo» en chinois, «kykliky kykkeliky» en danois, «qui qui ri qui» en espagnol, «kukkokiekuu», en finlandais, «kukurikuu», en hongrois, «gaggalago» en islandais, «kokekokko» en japonais et «o, o, o, o» en vietnamien (à écouter sur le DVD qui accompagne le catalogue de l’expo).

On a peine à croire que ces transcriptions désignent le même son. Les coqs ne chantent-ils pas pareillement sous toutes les latitudes?

Les cris d’animaux, aviaires en particulier, constituent un passionnant sujet d’étude linguistique. J’avais déjà eu l’occasion de le constater lors d’une promenade dans le Parc national suisse. Un panneau signalait la présence de gypaètes barbus et sous le dessin du rapace, son cri était traduit très différemment en allemand, en italien et en anglais.

L’absence de mention en français m’obligea à m’interroger sur ce que je pourrais bien entendre si l’oiseau venait à passer — et quelle traduction française j’en ferais, quelle onomatopée je créerais. A supposer que je me trouvais alors en pleine quête spirituelle, qui sait si je n’aurais pas inventé un son évoquant «Jésus»…

Une onomatopée désigne un mot dont le son évoque la chose qu’il désigne par une ressemblance sonore*. Or, le linguiste Ferdinand de Saussure a défini ce lien entre le son et le sens, entre le signifiant et le signifié, comme purement arbitraire, injustifiable par une quelconque nécessité naturelle, ce dont témoigne à l’évidence la diversité même des langues.

L’exemple des expressions du cri du coq dans différentes langues est très souvent cité dans des ouvrages de linguistique pour montrer que les onomatopées, elles-mêmes, sont soumises aux contraintes phonologiques de chaque langue. Celui du canard est tout aussi démonstratif. Rendu en français par couin couin, en danois par rap rap, en allemand par gack gack, en roumain par mac mac, en italien par qua qua, en russe par quack.

Les lecteurs de bandes dessinées auront constaté en lisant Tintin ou Astérix dans différentes langues combien les animaux s’y expriment différemment. Autres surprises, en italien, les ambulances font «la lu la la» et «da di da do» en suisse allemand — alors qu’au royaume d’Achille Talon, l’onomatopée ne correspond pas toujours au bruit «légitime», et vice-versa.

Par exemple, une portière qu’on referme ne fait pas clac mais cui cui, tandis qu’une voiture qui s’élance à toute vitesse émet un tranquille zonzon au lieu du vroum traditionnel. Dans un travail de recherche, une linguiste prétend que traduire une BD consiste surtout à traduire des onomatopées…

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L’origine étymologique du mot onomatopée vient du grec onomatopoiia, formé à partir d’onoma, «mot», et de poiein, «faire». Poiein est en outre la racine du verbe «pouvoir». Onomatopée évoque donc le pouvoir, la liberté de faire, de créer des mots.

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A lire aussi, «Ces mots qui font du bruit», d’Orlando de Rudder aux Editions Lattès.