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La valse des paniers percés

La situation financière de la Confédération ressemble de plus en plus à des trous qu’on creuse d’un côté, pour les reboucher de l’autre.

Dépenser, rien de plus facile. Et puis cela fait tellement plaisir. Pas étonnant donc, si le syndrome si répandu du panier percé frappe aussi les finances publiques, domaine pourtant supposé plus favorable aux pingres et autres grippe-sous.

Certes, si la Confédération a essuyé l’année dernière et pour la première fois depuis 2005 un déficit structurel, à hauteur de 4,3 milliards, la faute en incombe largement à des évènements imprévisibles, tels que le Covid 19 ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Bref, des dépenses inévitables, à moins d’être atteint de complotisme aigu ou de russophilie larvée – pathologies plus répandues qu’on imagine – impossible de ne pas appliquer les mesures sanitaires contre l’épidémie ou de ne pas accueillir de réfugiés ukrainiens.

Pourtant, au moment de présenter les prévisions pour les exercices de 2024 à 2026, la grande argentière Karin Keller-Sutter annonce toute une série d’économies visant à boucher de nouveaux trous dont on sait déjà qu’ils vont se creuser.

L’identité des terrassiers est aussi à près connue, et la conjoncture internationale ainsi que les épidémies ont cette fois largement bon dos. Contrairement à une idée reçue voulant que la droite soit forcément proche de ses sous et la gauche encline à une frénésie dépensière quasiment atavique, les paniers percés se recrutent en réalité dans l’ensemble du spectre politique.

La différence, c’est simplement que tous ces braves gens ne fantasment pas sur les mêmes achats, ne salivent pas devant les mêmes vitrines.

Les forces bourgeoises du parlement ont ainsi décidé une hausse du budget de l’armée, comprise entre 500 et 800 millions par an. A la grande satisfaction du Conseil fédéral et au prétexte tout trouvé d’une situation internationale tendue.

Notons toutefois que ceux dont les yeux brillent rien qu’à l’évocation des nouveaux avions F-35 ou de futurs «chars de grenadiers à roues» et qui se lèvent tous les matins persuadés d’une attaque armée imminente contre la Suisse, sont souvent les mêmes à pinailler lorsqu’il s’agit de réexporter quelques munitions vers l’Ukraine assiégée.

Un autre trou identifié pour l’an prochain – 300 millions de dépenses supplémentaires pour les demandes d’asile «hors réfugiés ukrainiens» – sera creusé avec la bénédiction et les applaudissements de la gauche. De même que seront attisés par cette même gauche, les deux années suivantes, les flambages prévus pour l’aide «au changement des chauffages polluants» et la hausse des subventions pour «l’accueil extra-familial des enfants». En attendant le congé parental de 38 semaines, censé «améliorer l’employabilité des femmes sur le marché du travail» et «renforcer le lien entre le père et son enfant».

Peu semble importer à ces paniers percés de toute obédience, les conséquences de leurs pulsions dépensières. À savoir de nouvelles économies, chaque trou creusé étant appelé à être compensé par un autre rebouché. Économies et coupes claires, comme l’a annoncé Karin Keller-Sutter, qui toucheront des domaines aussi peu importants que la recherche scientifique, la coopération internationale, la culture, l’agriculture, le transport régional, ou l’environnement.

Remarquons que ce n’est sans doute pas par avarice vertueuse que la nouvelle cheffe du département des finances se montre aussi impitoyable que son prédécesseur, le notoire Picsou zurichois Ueli Maurer, mais plus sûrement parce qu’elle y est obligée par la Constitution et son article 126, dit du frein à l’endettement.

Un frein à l’endettement plébiscité en 2001 à 85% des voix par un peuple payé pour savoir compter. Ce même peuple qui, n’ignorant pas qu’homo sapiens, même élu et avant d’être un animal raisonnable, est d’abord et surtout une créature dépensière.