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Léger comme un élu

Des représentants du peuple qui skient gratuitement, une conseillère d’Etat qui ne sait plus où elle habite, des conseillers nationaux qui jouent les idiots utiles: tout cela n’est pas sérieux, mais bien réel.

Ce sont de vieux mots qui sentent la poussière. Des mots comme courage, responsabilité, cohérence, sens de l’état. Bref rien que des notions bien ennuyeuses et qui fleurent un passéisme encrouté.

Pourtant, quand ces vieilles lunes sont malmenées de façon trop grossière et trop visible, on peut ressentir de la gêne sans sombrer dans le conservatisme le plus niais. Trois exemples récents, de nature et de gravités fort différentes, le révèlent assez crûment.

Ce sont d’abord des élus valaisans, fédéraux et cantonaux, qui skient, comme on le sait désormais, à peu près gratuitement sur les pentes du canton depuis des années sans y voir un commencement de problème. Le forfait saisonnier valable dans toutes les stations leur est proposé à 100 francs par les Remontées mécaniques du Valais (RMV) quand le citoyen doit débourser 1’500 francs pour la même prestation. Puis, patatras, le ministère publique valaisan s’est soudain demandé s’il y n’aurait pas là, compte tenu de l’importance économique de ce secteur pour le canton, quelque chose qui pourrait s’apparenter à «l’acceptation d’un avantage, respectivement octroi d’un avantage». Autant dire, en langage moins diplomatique, un soupçon de corruption.

Pour la défense des élus, notons qu’ils sont chaque année moins nombreux à se précipiter sur l’aubaine. Certains pourtant persistent, comme le conseiller national UDC Jean-Luc Addor, ou son collègue du Centre Benjamin Roduit, ainsi que les Conseillers d’état Frédéric Favre (PLR) et Christophe Darbellay (Centre). Certains, sentant le vent du boulet, ont vite restitué leur sésame, tel le conseiller national Vert Christophe Clivaz.

Christophe Darbellay, homme présumé fort du canton l’a même pris, lui, d’assez haut, moquant un ministère public qui ne doit pas être très occupé pour s’intéresser à de pareilles vétilles. Il s’agit bien là effectivement de cacahouètes, mais qui révèlent une conception plus que légère du rôle de l’élu. Personne n’a oublié avec quelle vigueur, durant le confinement, Christophe Darbellay avait défendu et imposé, contre l’avis du Conseil fédéral, que les remontées mécaniques puissent continuer de fonctionner.

C’est ensuite une conseillère d’Etat qui peine à choisir entre deux passions: son lieu de résidence et d’élection, le beau canton de Vaud, et son lieu de naissance, le fiscalement très sympathique canton de Zoug. Valérie Dittli est donc dans la tourmente pour avoir, le temps d’une campagne électorale en terre vaudoise, hâtivement rapatrié ses papiers de Zoug à Lausanne, avant de les renvoyer à la case départ, puis encore, pour une nouvelle campagne, de les remettre sur les bords du Léman. Comme s’il y avait le feu aux deux lacs.

La droite dans son ensemble peut bien voler au secours de l’élue du Centre, et dénoncer des «attaques politiques d’une bassesse sans nom», la défense de la conseillère d’Etat révèle là aussi une désinvolture assez consternante: elle aurait donc réalisé que l’essentiel de sa vie était quand même en Suisse alémanique, où elle joue dans une fanfare, aide son père à la ferme, achète ses livres à Zurich, etc. Après avoir, pour glaner quelques suffrages vaudois, chanté son amour du chasselas et du lac – le bon lac s’entend.

Comme pour les skieurs valaisans, l’infraction – si infraction il y a – est ici plus que minime mais dévoile une conception plutôt misérable de la fonction politique, qui semble consister d’abord à profiter en catimini de menus avantages. Quand l’époque exige au contraire, quitte à réveiller les vieilles lunes évoquées plus haut, une exemplarité sans faille.

Moins ragoutant encore, et plus grave, apparait le tour de force réalisé par les élus radicaux au Conseil national: dire oui à l’exportation d’armes vers l’Ukraine, tout en disant non. En votant d’un côté la motion socialiste qui permettrait aux pays acheteurs de matériel militaire suisse de le réexporter vers l’Ukraine. Tout en préférant, de l’autre, comme condition, plutôt que la condamnation de l’invasion russe par l’Assemblée générale de l’ONU, cette même condamnation mais par le Conseil de Sécurité. Chose évidemment impossible puisque la Russie en est membre et possède le droit de véto.

Afin de justifier cette forme de pusillanimité, pour ne pas dire de lâcheté, qui laisse le dernier mot aux poutinolâtres (synonyme actualisé pour idiots utiles) de l’UDC et des Verts, le chef du groupe radical Damien Cottier explique ceci: «En l’état, cette motion ne sert en rien l’Ukraine. Mais, au moins, nous gardons quelque chose sur la table et envoyons un signal montrant que nous voulons agir.»

Bref, ne rien faire, tout en prétendant bomber encore une conscience prétendument propre. On n’est plus là, comme avec les deux cas précédents, dans la mesquinerie crasse, mais plutôt l’hypocrisie majuscule. Et toujours l’insoutenable légèreté.