LATITUDES

Le design spéculatif au service d’une innovation durable

Créer des objets concrets en partageant les compétences, dans le seul but de changer les modes de pensée: cette pratique ouvre des pistes insoupçonnées. Explications.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans le magazine L’Environnement. Abonnez vous gratuitement ici.

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Quel est le point commun entre un jardin optimisé pour les insectes pollinisateurs, des dalles de béton qui laissent de l’espace aux plantes, et une œuvre d’art qui imagine les restes archéologiques d’une société numérisée ? Il s’agit d’autant de projets inspirés par le design spéculatif (voir aussi encadrés).

Cette pratique permet d’aborder les grandes questions sociétales comme la raréfaction des ressources ou le changement climatique à l’aide de processus issus du design. Il a été développé par les designers anglais Anthony Dunne et Fiona Raby. Dans leur ouvrage «Speculative Everything, Design, Fiction and Social Dreaming» (MIT Press, 2013), les deux auteurs imaginent notamment un Royaume- Uni du futur, divisé en quatre comtés où dominent différentes conceptions politiques et différents modes de transport. Ainsi, le projet « United Micro Kingdoms » met en balance les compromis nécessaires à une mobilité durable : facilité d’accès contre contrôle, énergie infinie contre limitation de la population… L’occasion d’ouvrir un débat critique sur les risques des nouvelles technologies et les évolutions sociétales souhaitables sur ce sujet.

Imaginaire palpable

«Les objets de design spéculatifs ont pour but premier de changer la pensée, explique Karin Fink, codirectrice du Master en éco-design à la Haute école de Lucerne-art et design et collaboratrice scientifique à l’OFEV. Ces objets doivent rendre palpables des possibilités qui paraissaient impensables, pour les soumettre au débat public. Et plus tard, ils trouveront peut-être leur expression dans des applications concrètes ou contribueront à la résolution de problèmes.» Innover de manière durable est plus que jamais à l’ordre du jour. Mais comment y parvenir ? «Le design spéculatif souligne l’importance de collaborer entre différents domaines de connaissance. Souvent, nous avons un biais dans notre façon de voir les choses. Nous sommes influencés par notre propre savoir spécialisé», dit Karin Fink. D’où l’intérêt d’intégrer différentes approches, en réunissant par exemple des artistes et des scientifiques au sein d’un même projet. Il est également inspirant de lister les bonnes idées dans différents domaines, puis de les appliquer en lien avec sa propre activité.

Brainstorming et tâtonnement

L’expérimentation constitue un autre volet essentiel de la conception spéculative, qu’il s’agisse de séances de brainstorming ou de prototypage physique. « Les fablabs jouent un rôle important dans cette optique. Ces laboratoires élargissent l’accès aux dernières technologies, comme les imprimantes 3D, les appareils de découpe laser ou les kits de programmation Arduino. Ils fourmillent aussi de personnes qui peuvent apporter leurs compétences particulières pour aider à la concrétisation d’un projet. »

Le design spéculatif brouille souvent la frontière entre l’art et le design. « Lors d’une conférence sur la numérisation, nous avons invité deux designers pour venir présenter un ensemble d’outils robotiques servant à communiquer avec des animaux sauvages. Des baleines pourraient par exemple être averties ainsi de l’approche d’un baleinier. » Les deux jeunes designers se sont présentés comme les fondateurs d’une start-up, et dans le public, certains participants se sont demandé jusqu’à la fin de la présentation s’il s’agissait d’un projet sérieux ou d’une performance. « Cette manière de faire a ensuite permis d’engager une discussion particulièrement stimulante sur les aspects éthiques soulevés par les nouvelles technologies. »

Conclusion

Le design spéculatif permet d’aborder des enjeux sociétaux majeurs. Ces projets aident à penser les choses, les processus ou les problèmes. Le design spéculatif permet de susciter le débat et contribue parfois à la résolution de nouveaux problèmes. Quelles traces archéologiques laissera l’ère numérique? C’est à cette question que s’est intéressé le collectif vaudois fragmentin, spécialisé dans le design spéculatif. L’oeuvre « Global wiring » a été créée cette année en Valais lors d’une résidence avec la Fondation Verbier 3D. Elle exprime la tension entre le changement climatique et la progression de la technologie.

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Initiatives

Pollinator Pathmaker (existe depuis 2021)

BUT Sensibiliser le public à la sauvegarde des insectes pollinisateurs et réimaginer le but dans lequel est conçu un jardin.

IDÉE Pollinator Pathmaker est un outil de conception algorithmique de jardins dont l’agencement est pensé pour favoriser le développement des abeilles, guêpes ou papillons.

PUBLIC CIBLE Toute personne qui souhaite aménager un jardin.  

SUCCÈS Un jardin de 55 mètres de long, baptisé « Eden Project », a été aménagé en Cornouailles (Royaume-Uni) à l’aide de Pollinator Pathmaker.

POURQUOI ÇA MARCHE Approche ludique. Le projet crée un changement positif à un niveau local

DÉTAIL INTÉRESSANT L’artiste Alexandra Daisy Ginsberg a dessiné et intégré plus de 450 plantes et fleurs dans l’outil.

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Rooting (existe depuis 2018)

BUT Favoriser la croissance de plantes, d’herbes et de mousses dans des espaces aménagés par les êtres humains.

IDÉE Des dalles modulaires dotées de trous qui permettent la croissance de végétaux.

PUBLIC CIBLE Architectes SUCCÈS Swiss Design Award en 2021.

POURQUOI ÇA MARCHE Le projet permet de remplacer les chemins en asphalte et de combattre les îlots de chaleur urbains. Le projet est conforme aux réglementations et normes générales d’accessibilité.

DÉTAIL INTÉRESSANT Le design utilise un algorithme qui s’inspire de motifs trouvés dans la nature.