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Chrétiens malins

Le changement de nom du PDC en un «Centre» attrape-tout fait le vœu pieu de reconquérir une société échappant désormais aux clivages trop vite dessinés.

Ce ne sera pas celui du monde. Ni de quoi que ce soit d’autre. Ce sera «Le Centre», tout court. Autant dire que le nouveau nom du feu Parti démocrate-chrétien (PDC), adopté à une écrasante unanimité par les délégués, ne mange pas de pain. Boulotera-t-il pour autant les suffrages? C’est loin d’être certain. Surtout que, si l’enseigne a changé, le menu reste toujours bien austère. C’est en tout cas tel que l’a présenté l’unique conseillère fédérale du Centre, la valaisanne Viola Amherd, avec ce maigre objectif assigné: forger des compromis, «un travail pénible et non sans importance».

Le but de la manœuvre était de se débarrasser d’un «C» jugé de plus en plus encombrant: la bannière chrétienne, qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en indigne, agissant de plus en plus comme un répulsif. C’est en tout cas ce qu’avait clairement établi un sondage de l’institut gfs.bern. La maigre résistance à l’abandon de l’identité chrétienne est venue, sans surprise, des cantons de Suisse centrale et du Valais. Ce même Valais qui a été, entre parenthèses, le seul canton romand à se joindre justement aux petits cantons dit «primitifs» qui ont fait basculer contre la volonté populaire la votation sur les multinationales responsables.

Cette frange plus à droite, plus conservatrice du PDC n’en démord pas: en abandonnant l’adjectif «chrétien» le PDC aurait aussi largué toute ligne politique, le centre aux yeux de ces irréductibles n’étant «qu’une position, pas une vision du monde».

On observera toutefois que les visions du monde n’ont jamais été le carburant préféré de la démocratie suisse, qui s’en est même souvent gardée comme de la peste. Dimanche dernier, ce sont ainsi les visions du monde et les grands principes, aussi généreux soient-ils, qui ont perdu, face à un pragmatisme plus ou moins cynique, la bataille contre les multinationales et l’exportation de matériel militaire. Ces initiatives, pourtant soutenues par les Eglises, ont été laminées spécialement dans les cantons où le PDC est fort. Bref de quoi perdre son latin en matière de vision du monde.

À noter cependant qu’une lueur dans la nuit semble s’allumer pour le nouveau Centre. Toujours à propos de ces dernières votations, les perdants n’ont ainsi pas mis longtemps pour crier au déni de démocratie. À l’image du conseiller national vaudois Roger Nordmann estimant que le principe de la double majorité du peuple et des cantons donnait un avantage inique aux bastions réactionnaires. Ou pour le dire plus simplement, aux paysans incultes des campagnes face aux bobos sur-éclairés des villes.

Un schéma tarte à la crème que le géographe et municipal de gauche vaudois, Pierre Dessemontet a justement remis en cause: «On oppose trop souvent les grandes cités aux petits villages, en oubliant l’importance grandissante des zones suburbaines, qui concentrent une forte proportion de la population. Par exemple, dans le cadre de l’initiative «Entreprises responsables», Zurich a voté oui, mais la plupart des communes environnantes, comme Kloten ou Wallisellen, ont dit non. Et ce sont des villes.»

Dans ce contexte, face à ces toutes ces incertitudes et complications, l’argument du très pragmatique président du PDC Gerhard Pfister en faveur du changement de nom pourrait s’avérer prometteur: «Nous n’avons jamais réussi à sortir de nos régions d’origine parce que nous sommes perçus comme un parti catholique ou particulièrement religieux.» L’opération «renaming» paraît dès lors prendre tout son sens: abandonner son identité pour mieux draguer des populations qui ont perdu la leur depuis longtemps.

Gare toutefois aux excès d’optimisme. Le président Pfister pronostique au doigt mouillé que grâce au changement de nom et la fusion concomitante avec le PBD -méchamment surnommé le fan club d’Eveline Widmer-Schlumpf- le Centre, tout beau tout neuf, pourrait passer d’un poids électoral actuel de 11% à 20% dans un avenir aussi proche que radieux. Il serait peut-être prudent d’ici là, d’aller quand même brûler quelques cierges.