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Des primes de malades

À qui la faute si la Lamal est devenue une foire à la criée plutôt qu’une assurance sociale? À tout le monde sans doute. Chacun s’en retrouve d’ailleurs puni. Mais pas tous de la même manière.

Elle a bon dos, l’invasion de la pacifique Ukraine par la brutale Russie. On peut même dire que cette guerre ignoble sert à tout. Comme un prétexte irréfutable pour justifier le peu justifiable. Le Conseil fédéral, par la voix autorisée du docteur Berset, a même osé brandir ce piteux prétexte, entre quelques autres, pour expliquer une énième hausse des primes maladie. «Beaucoup de choses n’étaient pas prévisibles, comme la guerre en Ukraine et un effet de rattrapage si fort des prestations de santé après la crise du Covid.» Pour une fois que Poutine était à peu près innocent de quelque chose…

Cette pantalonnade révèle sans doute le malaise d’un Conseil fédéral impuissant qui n’ose pas franchement mettre sur la place publique une question simple, que n’a pas rechigné en revanche à poser H+, la faitière des hôpitaux. Un genre de question dont on dit que la réponse est déjà contenue dans leur énoncé, à savoir si par hasard, l’actuelle loi sur l’assurance maladie, la Lamal donc, ne serait pas «dans l’impasse».

Une impasse et une impuissance que Jacques Gerber, le ministre jurassien de la santé, n’hésite pas à résumer crûment, comparant notre système de santé à «un centre commercial où le client peut se servir autant qu’il veut après avoir payé un droit d’entrée, et où les prestataires ont tout intérêt à écouler un maximum de marchandises, même si elles sont superflues. Cela fait exploser les coûts, les gens ne peuvent plus payer et il faut les aider avec de l’argent public.»

Bref une foire à la criée plus qu’une assurance sociale, dans laquelle tous seraient responsables, et tous plus ou moins coupables. «Chacun milite pour ses propres intérêts et personne ne fait attention à la globalité du système», explique ainsi le même ministre jurassien dans les colonnes du Temps. Et de pointer les divers lobbys à l’œuvre, notamment aux Chambres fédérales. Un pour les appétits de chacun: caisses maladies, hôpitaux, médecins, pharmaciens, patients.

À chaque hausse, évidemment, chacun pointe la responsabilité des autres, ce qui a pour tous l’avantage de s’exonérer de tout effort. La faute donc à l’incompétence du Conseil fédéral. Aux gloutonneries des caisses assises sur des réserves faramineuses, qui certes ont diminué, mais pas par leur bonne volonté, plutôt par la mauvaise humeur des marchés boursiers. La faute aux médecins qui multiplient les actes superflus. Aux pharmas qui se goinfrent. À un personnel politique vendu aux caisses. À des patients enfin qui consultent et consomment pour un oui ou un non et au moindre bobo –difficile à cet égard d’attribuer la hausse de 8,6% en physiothérapie à la guerre en Ukraine.

Tous coupables certes, mais à la fin deux seules victimes: les caisses publiques, donc les contribuables via les subsides versés à ceux qui ne parviennent plus à faire face aux hausses, et bien sûr les payeurs c’est-à dire presque tout le monde. Ce qui pourrait sonner comme une sorte de justice immanente: tous coupables, certes, mais à la fin tous punis.

Sauf qu’évidemment non. L’agression causée par les hausses de primes peut passer du coup de poignard à l’insignifiante chiquenaude selon les revenus dont on dispose A cet égard l’initiative socialiste préconisant que personne ne doive payer en primes maladie plus de 10% de ses revenus aurait le mérite de redonner un semblant de rationalité à cette machine infernale qu’est devenue la Lamal. Une machine comme imaginée par le père Ubu et conduite par le docteur Folamour.