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L’insoutenable suspens d’une élection sans enjeu

La succession d’Ueli Maurer au Conseil fédéral donne lieu à une sérieuse bataille interne. Péripétie dérisoire peut-être, mais bien apaisante.

Cela faisait longtemps: une succession ouverte au Conseil fédéral. On en viendrait presque à féliciter et à remercier Ueli Maurer pour sa décision de s’en aller. Dans un monde de brutes et une actualité grosse de menaces sérieuses et diverses, la bataille pour un tel strapontin s’annonce comme un aimable, apaisant et distrayant conte pour les enfants.

Ce qui n’empêche pas les coups de théâtres et autres rebondissements. D’abord, c’est l’une des favorites, la conseillère d’État zurichoise Natalie Rickli, véritable figure de proue de l’UDC, qui jette l’éponge. Au prétexte que, tout compte fait, elle préfère œuvrer dans son canton à ce que la population continue à pouvoir «compter sur un excellent système de santé». Elle aurait pu ajouter, à l’heure de la chute des feuilles mortes et de l’envolée des primes «excellent et aussi cher».

Mais ne chipotons pas: une telle décision montre au moins que le fédéralisme reste une solide réalité, que la saine dispersion du pouvoir qu’il présume fonctionne toujours, puisqu’une brillante politicienne continue de trouver au moins aussi alléchant, sinon plus, d’être ministre cantonale plutôt que fédérale.

Notons au passage que ce modèle continue de faire des envieux loin à la ronde. Dans une interview récente, l’un des principaux et plus virulents opposants à Poutine, l’ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski, a expliqué, depuis son exil londonien, que peu importait que Poutine reste ou parte, que peu importait qui lui succéderait, et que rien ne changerait en Russie tant que le rapport au pouvoir n’aurait pas été modifié, puisque «un tsar gentil, cela n’existe pas».

Rien à espérer de la Russie donc tant que le pouvoir réel n’aura pas été transmis aux régions, qui sont, comme on sait, 83 au sein de la Fédération de Russie, si l’on ne compte pas Sébastopol et la Crimée indument annexés et encore moins les territoires fantoches du Donbass. Avantage d’avoir des régions toutes puissantes selon Khodorkovski: elles n’ont jamais la lubie, la bêtise, ni le besoin de s’inventer de toute pièce un ennemi extérieur.

Mais revenons à nos moutons agrariens et à la lutte qui les déchire pour remplacer le bon Maurer. L’affaire prend une tournure carrément shakespearienne avec un autre des grands favoris, le bernois Albert Rösti. Un homme plutôt apprécié au parlement, où il se montre à la fois très actif et plutôt conciliant. «Agréable, humain, pacifique, orienté vers les solutions», résume la conseillère nationale fribourgeoise du Centre Christine Bulliard-Marbach. Que demander de plus?

Pas grand-chose, seulement qu’il soit franchement soutenu par son parti. «Agréable, humain, pacifique», voilà qui ne représente pas forcément une assurance tous risques ni ne sonne comme une douce mélodie pour le gros des troupes UDC, spécialement la puissante et très offensive aile zurichoise. Entre Blocher et les Bernois, le courant n’est jamais passé. Les précédents conseillers fédéraux bernois UDC, Adolf Ogi et Samuel Schmid, continuent de donner des boutons aux riverains de la Limmat. Trop mous, trop lents, les Bernois.

Dans ce contexte, Zurich brûlerait de présenter un candidat. Natalie Rickli ayant décliné, un spectre de poids s’agite, dit-on, dans la coulisse: Magdalena Martullo-Blocher, tonitruante fille de son père, qui fait juste pour l’heure semblant de décliner, attendant qu’on lui demande poliment. Mais là il semblerait que ce soit le parlement qui ne veuille pas, sur l’air de Blocher, non merci, on a déjà donné.

Comme la probabilité est réelle que l’UDC veuille présenter un ticket homme-femme, reste, pour accompagner Rösti, la conseillère nationale saint-galloise Esther Friedli, qui a pour principal atout d’être la compagne de l’ancien président du parti Toni Brunner. Un genre de carte maîtresse qui a encore cours chez les dinosaures blochériens.

Autre élément d’incertitude: les Verts pourraient avoir l’idée kamikaze de revendiquer le siège. Bref une élection sans enjeu mais pleine de suspens. Tels sont les charmes inimitables de la démocratie.