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Commerce de détail: la grande mutation

Vente en ligne, circuits courts: l’évolution rapide des habitudes de consommation transforme toute une industrie, avec des conséquences économiques majeures, autant pour les géants du secteur que les acteurs locaux. Quelles solutions pour survivre? Enquête.

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans PME Magazine.

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Moins de centres commerciaux gigantesques en périphérie, plus d’épiceries au coin de la rue, des circuits courts pour l’alimentation et des achats en ligne pour de plus en plus de produits, y compris la mode et le mobilier. Avec quelques années de retard sur les Etats-Unis, l’évolution des habitudes de consommation touche désormais aussi l’Europe et la Suisse. Avec des conséquences sur tadalafil 20 mg by ranbaxy et sur l’organisation des centres villes. Quel impact sur le commerce de détail en Suisse romande? Comment peut-il s’adapter à la situation?

1. Flexibles et responsables: les nouvelles habitudes des consommateurs

Durable, biologique, écologique, la consommation responsable s’impose aujourd’hui dans les modèles d’achat. Dans l’ensemble du marché des denrées alimentaires, la part des produits bios a ainsi augmenté de 4,6% en 2007 à 9% en 2017 selon Bio Suisse. «Il y a un changement des mentalités; les Suisses, et surtout les jeunes générations, questionnent leur mode de vie et d’achat, analyse Estefania Amer, maître-assistante à HEC Lausanne. Les magasins sont donc obligés de se développer en réponse à ces nouvelles exigences.» En effet, bon nombre de consommateurs recherchent désormais des produits à la qualité contrôlée, comme le montre le développement d’applications comme Yuka ou FRC qui sont dégainées dans les rayons pour connaitre les nutriscores de chaque produit.

Néanmoins, «le client d’aujourd’hui exige également le confort, comme avec la livraison à domicile ou la réception en magasin, explique Jenni Dagmar, directrice de Swiss Retail Federation, l’association des commerces de détail de taille moyenne en Suisse. C’est donc un véritable défi pour les commerces d’allier un service de conseils personnalisés, des prix concurrentiels et une performance commerciale.» Les détaillants tentent ainsi de lier les mondes du commerce: les magasins physiques développent leur offre en ligne et les «pure-player» essaient, eux, de s’implanter en centre-ville.

Pour assurer leur durabilité économique, les boutiques doivent aussi redoubler d’ingéniosité pour fidéliser leur clientèle, «ce qui est plus facile pour les commerces qui cristallisent les mêmes valeurs que leur clientèle, comme celle du respect de l’environnement, remarque Estefania Amer. Une image d’entreprise basée sur ces valeurs renforce la fidélité et le sentiment de communauté de la clientèle, à leur tour stimulés par des newsletters et des évènements exclusifs.» Cet aspect de proximité avec le client, la marque de beauté anglaise Lush l’a poussé jusqu’à supprimer ses comptes sur les réseaux sociaux, argumentant une volonté de privilégier le contact direct au client directement en magasin. D’autres encouragent le dialogue entre les clients par des « chats » en ligne, comme Sephora ou Lancôme, créant ainsi des communautés de conseils et de promotion entre utilisateurs, ce qui leur permet ainsi d’avoir des retours directs et de s’en servir pour élaborer leur stratégie de manière participative.

2. Shopping en quelques clics: la concurrence d’internet

Les Suisses ont dépensé 9,5 milliards de francs pour des marchandises achetées en ligne en 2018, soit une hausse de 10% par rapport à l’année précédente selon l’étude de l’association suisse de vente à distance (ASVAD). «Avec internet, les gens se sont habitués à avoir tout immédiatement, y compris leurs achats en ligne, souligne Estefania Amer, maître-assistante à HEC Lausanne. De ce fait, ils imposent une nouvelle pression sur les délais de livraison, ce qui n’est pas facile pour les PME suisses qui n’ont pas les mêmes moyens que les grandes enseignes.»

En dix ans, le chiffre d’affaires du commerce de détail a diminué de 7,7 % en Suisse romande. Le canton de Neuchâtel accuse une forte chute de 14% des ventes, 12% pour le canton de Vaud. «Zalando, Amazon, Digitec Galaxus sont de très gros concurrents pour la distribution suisse, explique Thomas Lang, CEO de Carpathia, une entreprise de conseil en commerce numérique. Zalando, avec 785 millions de francs de chiffre d’affaire, est déjà le plus important détaillant de mode en Suisse, plus grand que H&M, mais il ne compte pas un seul employé dans ce pays.» (EXERGUE)

Les commerçants doivent donc lutter contre la fuite des acheteurs sur la toile et craignent le showrooming, cette pratique qui consiste à essayer un produit en magasin pour le commander ensuite en ligne. «Le showrooming est un problème surestimé, répond Thomas Lang. La réalité est plutôt inverse: plus de 40% des achats ont été repéré en ligne (on parle de « webrooming »), et seulement 20% ont été préparé en magasin.» En effet la clientèle physique a certes fortement diminué, mais elle n’a pas disparu: 61% des consommateurs achètent encore principalement dans les magasins selon l’étude menée en 2019 par l’ASVAD.

Pour survivre face au numérique, les magasins doivent cependant se démarquer, comme par exemple avec un service après-vente. «Le numérique représente aussi la possibilité d’atteindre de nouveaux clients, dans d’autres régions, d’offrir de nouveaux services, explique Thomas Lang. Néanmoins, de nombreux commerçant ont du mal à véhiculer le caractère spécifique de leur offre sur les réseaux.» Pour Jenni Dagmar, présidente de Swiss Retail Federation: «les magasins pourraient encore s’améliorer dans plusieurs domaines essentiels: les conseils directs aux clients, l’expérience d’achat par la stimulation des sens, la proximité géographique et la possibilité de tester des produits dans la boutique.» Pionnier du genre, le magasin de vêtements Hipanda Ghost House à Tokyo expose ainsi ses pièces au travers d’un parcours en réalité augmentée dans le magasin.

3. Une nouvelle géographie du commerce

Se rendre à la gare n’est plus seulement synonyme de voyage. Aéroport, gare, périphérie, la consommation n’est plus cantonnée au centre-ville. La Suisse compte aujourd’hui 4 millions de pendulaires, soit les personnes actives qui se déplacent pour se rendre sur leur lieu de travail. Près de 17% d’entre eux prennent le train alors qu’ils étaient moins de 12% à le faire en 2000, selon l’Office fédéral de la statistique.

Les cinq principales gares de Suisse (Bâle, Berne, Genève, Lucerne et Zurich) ont ainsi vu leur chiffre d’affaires progresser de 16% sur sept ans, soit 1,1 milliard de francs en 2017 contre 945 millions en 2010 selon l’institut GfK. Pour Chantal Robin, directrice de la Chambre du commerce et de l’industrie du canton de Fribourg, «il ne faut cependant pas oublier les centre-ville et maintenir les liens entre commerçants, restaurateurs et artisans qui fonctionnent en symbiose».

«Pour mon livre, je suis partie du constat que les centre-ville commençaient à tous se ressembler, explique Rinny Gremaud, journaliste et auteure de l’ouvrage «Un monde en toc». On assiste à une «mallification» des villes où les rues ressemblent de plus en plus à des allées de centre commercial (shopping-mall).» Les boutiques qui occupaient autrefois les centres des villes sont progressivement remplacées par des grandes enseignes et des franchises, du fait notamment de l’augmentation des loyers. Les centres commerciaux suisses sont aussi en difficulté: d’après le dernier rapport de l’institut GfK, leur chiffre d’affaires global, estimé à 18,3 milliards de francs en 2018, est en recul continu depuis quatre ans. «Les centres commerciaux géants que j’ai visités sont à la croisée du loisir et de la consommation, ils comprennent par exemple des parc d’attraction en plus d’une offre commerciale très vaste, ajoute Rinny Gremaud. En Suisse, le Mall of Switzerland à Lucerne, avec son surf d’intérieur et son cinéma multiplexe s’apparente à ces mega-malls internationaux, même s’il est beaucoup plus petit.»

Apparaissent aussi les magasins hybrides comme un salon de coiffure revendeur de vêtement ou un café-fleuriste, mais aussi les espaces éphémères. Ces derniers, aussi appelés pop-up store, testent la clientèle, à l’instar du japonais Muji qui après une phase provisoire s’est totalement implanté à Zurich cette année. «Ce phénomène n’est pas nouveau puisqu’il reprend le principe des marchés qui se déplaçaient de village en village, explique Chantal Robin, directrice de la chambre du commerce et de l’industrie fribourgeoise. Aujourd’hui les commerçants changent de lieux mais l’idée reste la même.»

4. Prix: dynamiser l’acte d’achat

Modifier le prix affiché en fonction de l’heure de la journée ou du nombre de vues d’un produit: un principe utilisé par bon nombre d’enseignes digitales pour pousser à l’achat d’un produit à partie de clic. Un principe qui ne s’est pas encore développé dans le commerce stationnaire, excepté les coupons de rabais individualisés distribués par exemple par Migros. «Des prix durablement bas sont préférés aux actions et aux programmes de fidélisation, souligne le rapport «Révolution chez les détaillants: la nouvelle clientèle du commerce de détail suisse», réalisé par le cabinet Oliver Wyman pour Swiss Retail Federation.

Le sujet des prix dynamiques n’est pas non plus d’actualité pour le groupe Valora, souligne sa porte-parole Christina Wahlstrand. Mais le géant bâlois – qui exploite notamment les magasins K Kiosk, Press & Books et Brezelkönig – s’illustre comme pionner suisse en matière d’innovations pour encourager le passage en caisse des consommateurs. Valora a ainsi testé ce printemps un magasin entièrement automatisé baptisé «Avec Box» au centre de la gare de Zurich. Ne comprenant aucun employé, on y entrait 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 en activant une application pour smartphone. Cette dernière permet ensuite de scanner les produits choisis et d’établir directement le ticket de caisse. «Les consommateurs ont aujourd’hui des attentes pour le commerce stationnaire similaires à celles qu’ils vivent lors de l’achat en ligne, dit Christina Wahlstrand. Grâce aux options de paiement numérique, on crée chez le client l’impression de contrôler le processus d’achat.»

Ce magasin entièrement automatisé fait désormais l’objet d’un test sur un des campus de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Si Valora ne tire pas encore de conclusions, les premiers enseignements s’avèrent très positifs.  «Les produits innovants, la manière d’acheter à la fois simple et rapide et l’ouverture 24 heures ont été particulièrement appréciés. L’un des principaux défis consiste à maintenir la simplicité de l’expérience d’achat malgré l’utilisation des nouvelles technologies.»

5. Les nouveaux codes de la publicité digitale

Le marketing n’est plus cantonné aux promotions dans les journaux locaux mais passe par les réseaux sociaux. La quasi-totalité de la population suisse comprise entre 15 et 54 ans est aujourd’hui connectée à internet. La part des 55-65 ans a aussi nettement augmentée, passant à 91% d’utilisateurs d’internet, une hausse de quasi 14% en trois ans selon l’Office fédéral de la statistique. Ce ne sont donc plus seulement les jeunes qui sont présents sur les réseaux, mais une grande partie de la population ce qui en fait une espace de commination incontournable.

L’agence Debout sur la table créée à Vevey en 2016 constate une augmentation de la demande dans ce sens: «Les entreprises de toute tailles ont compris que la communication digitale était aujourd’hui essentielle pour toucher leur public, remarque Vincent Antonioli, cofondateur. Et pour cela, ils doivent diffuser le bon message, au bon moment selon leur structure et leur public cible».

«Il faut afficher une véritable identité, y compris digitale, avec par exemple un aspect sonore et surtout des valeurs particulières, comme la mode durable, ou la promotion du local, ajoute Vincent Antonioli. Cette communication passe par des outils modernes digitaux. Certains font appel à des influenceurs, ce qui peut être une bonne stratégie pour une entreprise qui ciblerait notamment un public jeune, d’autres demandent à leur employés de devenir les ambassadeurs de la marque.»

Pour se démarquer, les marques rivalisent d’imagination pour faire de leur magasin une véritable expérience immersive et photogénique. Certains misent par exemple sur des décors de plantes, créant un cadre calibré pour les photos de réseaux sociaux. La marque de beauté Glossier a par exemple créé un showroom à New York entièrement fait de rouge et de miroirs pour ne présenter qu’un seul produit: un parfum. Le concept store qualifié d’«expérience offline» présentait ainsi le flacon sous toutes les coutures, dans un décor largement partagé sur les réseaux sociaux. D’autres ont instauré la publication sur les réseaux sociaux comme nouvelle monnaie de paiement. Pour promouvoir son parfum Daisy, Marc Jacobs a ouvert un pop-up store à New-York, Londres et Amsterdam où les clients ont reçus des cadeaux en échanges d’un message posté sur Instagram ou Twitter. Le résultat pour la marque: plus de 40 millions de partages, soit une publicité internationale relayée par des utilisateurs satisfaits.

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«L’expérience en magasin est devenue une question de premier plan»

Ruth Toechterle dirige l’agence zurichoise Interstore, spécialisée dans la conception de commerces. Son approche? Créer l’événement autour des produits de ses clients.

Qu’est-ce qui distingue un aménagement intérieur réussi?

Le design n’est qu’une facette du succès. C’est ce j’expliquais récemment à un client qui me demandait si l’usage de certains matériaux allait lui permettre d’attirer les passants dans son magasin. Le point de départ concerne toujours le produit plutôt que l’architecture ou l’aménagement, dont l’appréciation est souvent subjective. L’ADN de notre travail consiste à étudier comment mieux mettre en avant un produit

Est-ce que les demandes de vos clients ont évolué ces dernières années?

La flexibilité est un thème qui a gagné en importance. Nous proposons par exemple des concepts pop-up et jouons avec les différentes surfaces au sein des magasins, de manière à amuser les clients et à transformer l’achat en un acte ludique. L’expérience en magasin est devenue une question de premier plan. Prenez l’exemple de la chaine canadienne Lululemon Athletica qui vend des habits de sports. Elle propose aujourd’hui des cours de yoga dans la plupart de ses boutiques. Certaines études montrent d’ailleurs que la génération Z préfère dépenser de l’argent pour une expérience plutôt que pour un objet.

Avez-vous remarqué des phénomènes à l’échelle mondiale dont les commerçants suisses pourraient s’inspirer?

Oui bien sûr. Il y a par exemple l’expérience unique et surprenante que l’on peut vivre en se rendant dans certains grands magasins à l’étranger, comme l’enseigne londonienne de la chaîne Selfridges ou la Fondaco dei Tedeschi à Venise. Les magasins suisses devraient s’en inspirer pour créer une identité de marque plus forte et mieux se différencier de la concurrence.

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Le commerce de détail en Suisse (chiffres 2018)

95 à 100 milliards de francs
Le chiffre d’affaires total du commerce de détail en Suisse (estimation).

9,5 milliards de francs
Le montant des achats en ligne des Suisses.

+0,4%
L’augmentation du chiffre d’affaires du commerce de détail suisse.

-9%
Le recul du chiffre d’affaires des détaillants vestimentaires.

10%
La part du marché suisse de l’habillement détenue par Zalando.

0.9%
La baisse du chiffre d’affaires des centres commerciaux suisses.

7,7%
Le recul des ventes dans le commerce stationnaire romand entre 2008 et 2018.

7,2%
La suppression d’emplois équivalents plein temps dans le commerce stationnaire romand entre 2008 et 2018.

Sources: GfK, Credit Suisse, BAK Economics

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Collaboration: Erik Freudenreich