KAPITAL

Commerce de détail: innover pour réussir

Vente en ligne, circuits courts: l’évolution rapide des habitudes de consommation transforme toute une industrie. Quelles solutions pour survivre? Témoignages de cinq enseignes suisses.

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans reliable cialis generic.

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Moins de centres commerciaux gigantesques en périphérie, plus d’épiceries au coin de la rue, des circuits courts pour l’alimentation et des achats en ligne pour de plus en plus de produits, y compris la mode et le mobilier. Avec quelques années de retard sur les Etats-Unis, l’évolution des habitudes de consommation touche désormais aussi l’Europe et la Suisse.  Quel impact sur le commerce de détail en Suisse romande? Comment peut-il s’adapter à la situation? Les réponses cinq enseignes suisses qui ont su tirer leur épingle du jeu.

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«Une réunion autour de valeurs communes»

Il y a trois ans, Eslyne Charrier et Olivier Richard ont lancé l’épicerie en vrac Chez Mamie. Un nom qui regroupe désormais une quinzaine d’enseignes franchisées.

La première épicerie en vrac Chez Mamie a été inauguré en 2016 à Sion. Dès l’ouverture, le magasin reçoit des centaines de messages de personnes à la recherche de soutien pour ouvrir eux aussi un magasin d’alimentation responsable. Olivier Richard, directeur de ce qui va par la suite devenir la marque Chez Mamie, se voit alors obligé de se transformer en chef d’orchestre pour développer un réseau qui compte aujourd’hui de 15 magasins franchisés en Suisse, soit une trentaine de collaborateurs. «Cela permet de se protéger et de créer une cohésion, un groupe un peu plus fort face à la grande distribution.»

Au départ, les fondateurs de l’enseigne n’avaient pourtant aucune ambition de cet ordre. Inspirés par la philosophie zéro déchet, Eslyne Charrier et Olivier Richard voulaient surtout créer un magasin tel qu’ils auraient voulu en trouver dans leur région. La passion a été le moteur de ce projet, se rappelle le directeur: «Il ne faut pas faire l’erreur de vouloir surfer sur le concept du moment et d’ouvrir un magasin sans véritable conviction. Plus qu’un commerce en vrac, le zéro déchet est un mode de vie. Les clients sont généralement très attentifs à leurs achats et renseignés sur le sujet. Il est donc impératif de connaitre et aimer ce qu’on vend.»

Chez Mamie propose des produits bio, sans emballages, et de la région, allant de l’alimentaire aux produits cosmétiques ou d’entretien. La marque s’est constituée peu à peu une communauté d’habitués, fidélisée au-delà du premier magasin de Sion. Les quinze magasins enregistrent au total environ 900 clients par jour. Ces derniers savent qu’ils vont retrouver l’engagement éthique et les produits proposés dans l’ensemble du réseau. «La clientèle que l’on touche mène une réflexion globale sur sa consommation, basée sur la réduction des impacts environnementaux, voire de la décroissance. Grâce à nos services, nos différents ateliers et nos conseils, nous réunissons les clients autour de valeurs communes et leur offrons un ensemble cohérent.»

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«Privilégier le contact avec la clientèle»

La boutique sédunoise Le Maître de Jeux vend des figurines, des jeux de rôles et une variété de jeux de société. Elle mise sur l’organisation d’événements pour fidéliser ses clients.

C’est en constant le manque d’offre destinée aux enfants férus de jeux de rôle dans la région valaisanne que Madge Mévillot s’est lancée dans le commerce il y a 25 ans. Alors mère d’un jeune garçon, elle s’installe dans un petit local à Sion. «Tout le mobilier était fait de récupération ou a été créé par mes soins, se souvient- elle. Lorsqu’on ouvre un nouveau commerce, il faut rester léger et humble au niveau des infrastructures et privilégier un loyer raisonnable, d’autant plus que monter un stock est coûteux.»

L’enseigne trouve son public et déménage une première fois, il y 7 ans, dans un lieu plus spacieux, qui qui devient une nouvelle fois trop petit lorsque son fils commence à travailler pour le magasin. «Nous nous sommes créés une petite réputation, il a fallu nous réinventer. Depuis deux ans, nous bénéficions enfin d’un espace suffisant pour nos activités, avec une trentaine de places assises pour les anniversaires et autres évènements.»

Avec l’arrivée en Valais de géants du jouet tels que Maxi Toys, il était essentiel pour l’équipe de se démarquer en misant sur un accueil de qualité, une excellente connaissance des jeux proposés et des rencontres ludiques. «Nous refusons de faire de la vente sur internet. Notre objectif est de privilégier le contact avec la clientèle avant tout.» Cela se traduit notamment par l’organisation de divers événements: soirées jeu, tournois de cartes ou animations destinées aux familles les samedis.

Cet attachement à la boutique réunit des habitués, les premiers clients de l’époque qui reviennent avec leurs propres enfants par nostalgie et par plaisir de jouer. Mais également de nouveaux adeptes, qui ont entendu parler des tournois ou des évènements via les réseaux sociaux ou le bouche à oreille. L’enseigne vend aujourd’hui 300 jeux par mois et affiche une augmentation annuelle du chiffre d’affaires d’environ 20%, sans compter les revenus engrangés via les animations et événements.

Parallèlement, le magasin promeut le jeu comme outil pédagogique: «Nous formons les futurs éducateurs de la HES-SO à l’importance du jeu pour les 6-12 ans. Nous proposons également des animations dans des foyers de jour pour personnes âgées ou en situation de handicap et même en prison.»

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«Offrir une bonne traçabilité de nos produits»

Les Genevois Sabrina et Fred Cornudet exploitent deux boutiques spécialisées dans la mode et les accessoires affichant une forte identité.

Lorsque leur fille Chloë nait fin 2008, Sabrina et Fred Cornudet décident de partir six mois en congé parental pour sillonner l’Asie, leur bébé sous le bras. Elle travaille dans une crèche, lui est actif dans l’évènementiel. Durant ce voyage, ils croisent la route d’artisans bijoutiers, notamment indonésiens, qui les inspirent profondément. De retour à Genève, ils décident alors de lancer une première collection de bijoux, inspirée du voyage et au nom de leur fille, qu’ils présentent d’abord lors d’un marché de Noël. Le succès est vite au rendez-vous, à tel point qu’ils acquièrent une première boutique en mars 2010, puis une seconde en novembre 2014. Les clients apprécient le côté local de la marque: tout est confectionné à la main dans l’atelier du couple. Ils sont aussi sensibles à l’histoire familiale de la boutique et en suivent le développement.

Les bijoux sont en argent et ornés de pierres semi-précieuses rapportées de voyage. D’abord tournée vers une clientèle féminine, la boutique a également lancé une collection pour hommes, à l’initiative de Fred. Il est aussi possible de créer des pièces uniques et sur mesure selon le goût de chacun. Les deux artisans délèguent très peu et choisissent tout eux-mêmes. «Dans la deuxième boutique, sur le mode concept store, nous avions envie de proposer aussi des petits objets ramenés de voyage, de la décoration provenant de Bali ainsi que divers accessoires», explique Sabrina.

Le couple accorde une importance particulière à l’aménagement de leurs boutiques: colorées, harmonieuses, parfumées, elles sont une invitation à la bonne humeur: «On s’y sent bien et plusieurs clients nous ont déjà confié vouloir amener leur lit au milieu de la boutique et en faire leur chambre à coucher!»

Leur succès tient aussi à leur stratégie de communication: «Nous essayons d’être très actifs sur les réseaux sociaux. Cela nous permet de poster régulièrement des photos de nos fournisseurs en Asie lorsque nous voyageons et donc d’offrir une bonne traçabilité des bijoux à nos clients.»

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«Nous faisons la part belle aux pièces intemporelles plutôt qu’à la fast-fashion»

Née en 1977 pour importer la mode punk londonienne, la PME familiale bernoise Olmo table sur des marques peu présentes dans son périmètre d’activité et le suivi des tendances européennes.

L’histoire du détaillant bernois Olmo, qui dispose de cinq boutiques dans la ville fédérale et une autre à Zermatt, suit les mouvements de la mode et de la musique depuis sa création par Francis Pauchard en 1977. «Mon frère a commencé en ramenant de Londres des valises remplis de vêtements punk pour ses amis, explique le CEO Luc Pauchard. Il rapportait toutes les pièces branchées et un peu folles qu’il trouvait.» La société s’est adaptée aux autres tendances musicales, du rockabiliy au hip hop. «Nous avons par exemple été parmi les premiers dans les années 1980 à proposer des Adidas superstar au moment où ce modèle décollait grâce au groupe Run-DMC.»

Outre ces collaborations, parfois exclusives, avec des marques internationales (elle présente les collections de Levi’s et G-Star dans deux magasins dédiés), la PME mise aussi sur des labels suisses. «Nous travaillons avec les frères Freitag depuis leurs débuts, mais aussi plus récemment avec la start-up Nikin.» Les deux jeunes Argoviens à l’origine de cette entreprise de vêtements et accessoires promettent de planter un arbre pour chaque article Nikin vendu.

Olmo commercialise d’ailleurs toujours plus de produits durables (fibre de matière recyclée, coton biologique, usines certifiées, etc.). «C’est une tendance qui nous correspond bien. Elle va avec la mode streetwear, non bling-bling, que nous proposons. Elle rejoint l’idée d’acheter physiquement dans une boutique, en profitant du conseil et des essayages faciles, plutôt que de commander en ligne avec les allers-retours de cartons à la poste que cela suppose. Elle fait la part belle aux pièces intemporelles plutôt qu’à la fast-fashion.» Pour détecter les tendances de la mode éthique nordique, Olmo emploie une collaboratrice à Amsterdam.

La zone de chalandise des boutiques bernoises de la PME, qui exploite 900 m2 de surface commerciale et emploie 30 collaborateurs, s’étend aux cantons de Soleure, Neuchâtel et Fribourg. Malgré la concurrence du commerce en ligne, Luc Pauchard demeure confiant. «Notre chiffre d’affaires a certes tendance à stagner, surtout si l’on compare aux ventes de cinq ans en arrière. Mais nous n’avons pas à fermer de magasins. La recomposition du marché, avec l’arrêt malheureux de boutiques indépendantes dans les villes moyennes autour de Berne, pourrait aussi s’avérer profitables pour nous.»

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«Dans le commerce physique, il ne faut pas baisser les bras»

Avec ses douze libraires et sept boutiques Nature & Découvertes, le groupe Payot anime de nombreuses rues commerciales de Suisse romande. Pour durer, il mise notamment sur des services étendus et une diversification de ses activités.

Payot, qui célèbre ses 100 ans de présence à Genève, ne se repose pas sur son glorieux passé de libraire romand. Dans la ville du bout du lac, l’entreprise a réorganisé depuis 2013 ses activités. Rive droite, elle a fermé son magasin rue de Chantepoulet pour s’installer à la Gare Cornavin, dans une boutique située sur un important lieu de passage, ouverte le dimanche et aux horaires étendus. Rive gauche, rue de la Confédération, elle a pris possession d’un espace beaucoup plus grand, proposant le double de références et un café. Résultat: dans les librairies Payot genevoises, le nombre annuel de tickets de caisse a augmenté de 30% entre 2013 et 2016.

La société lausannoise se déploie également dans d’autres villes romandes, comme en témoigne l’ouverture en janvier 2018 d’une nouvelle librairie à Morges (VD). «Dans le commerce physique, il ne faut jamais baisser les bras. Il faut rester innovant», résume le directeur de Payot, Pascal Vandenberghe. L’entreprise suit, d’une part, une stratégie de diversification, avec l’exploitation d’une franchise exclusive en Suisse: depuis 2014, elle a ouvert trois nouvelles enseignes Nature &

Découvertes, s’ajoutant aux quatre déjà existantes. «Deux sont situées dans le même espace que nos librairies. Cela permet d’occuper des meilleurs emplacements en centre-ville, en mutualisant les coûts des loyers, et de proposer une offre complémentaire.» Avec ces inaugurations, le nombre d’employés est passé de 305 en 2014 à près de 350 aujourd’hui.

Payot mise, d’autre part, sur des services étendus. «Le développement du site web, que je n’oppose pas au commerce physique, se révèle crucial afin de s’adapter aux nouveaux modes de consommation. L’ouverture d’un café répond aussi à une logique de service et de confort supplémentaires pour nos clients.» Plus de 800 événements sont désormais proposés dans les librairies, contre une centaine au début des années 2010. «Nous avons réalisé un site internet spécifique qui détaille tous les vernissages, lectures, dédicaces, animations pour enfants et autres activités que nous proposons.»

Le contact humain reste, enfin, au centre des préoccupations de Pascal Vandenberghe. «Le conseil et l’accueil sont primordiaux. Cela suppose d’avoir suffisamment de personnel, des libraires formés et de veiller au bien-être des collaborateurs. S’ils sont contents d’être là, ils seront davantage orientés sur le service à la clientèle.»

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Collaboration: Blandine Guignier