KAPITAL

Luigi Macaluso, la passion de la mécanique

Architecte de formation, le directeur de Girard-Perregaux est aussi un ancien pilote de course automobile. En quinze ans, il s’est imposé comme une figure emblématique de l’horlogerie de tradition. Rencontre dans sa manufacture de La Chaux-de-Fonds.

Certes, il reste turinois. Mais il est encore plus fier qu’un Suisse de faire du Swiss Made. Luigi Macaluso dirige depuis 1992 le groupe Sowind qui possède les manufactures Girard-Perregaux et Jean Richard à la Chaux-de-Fonds. Une bien belle maison de haute horlogerie et, surtout, une des rares de cette taille à ne pas être tombée entre les mains d’un grand groupe pour l’instant.

Quand il devient président de Girard-Perregaux, «la marque n’avait pas grand-chose à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui», concède-t-il modestement. Elle s’est en effet beaucoup développée (selon le magazine Bilan, le chiffre d’affaires a dépassé les 200 millions de francs en 2006), avec une capacité de production considérablement augmentée grâce à l’ouverture d’une nouvelle manufacture à la Chaux-de-Fonds en 2002. Sans renier cependant sa très longue histoire. Fondée en 1791, Girard-Perregaux tient son nom du mariage de l’horloger Constant Girard et de Marie Perregaux. Elle est l’une des plus anciennes manufactures de toute l’industrie, l’une des rares à concevoir et réaliser ses propres mécanismes.

Girard-Perregaux a marqué l’histoire horlogère de plusieurs prouesses technologiques. La marque s’était notamment illustrée avec une montre de poche anthologique baptisée «Tourbillon sous trois ponts d’or», qui fut rééditée en 1991 pour célébrer le bicentenaire de la marque. On ne le sait pas toujours mais Girard-Perregaux est aussi pionnier du quartz en tant qu’inventeur du mouvement basé sur une fréquence de 32’768 hertz, en 1969.

Une petite révolution technique qui deviendra un standard universellement adopté pour toutes les montres, y compris celles fabriquées en Asie. L’an dernier, Girard-Perregaux avait épaté toute l’industrie en présentant son modèle «Jackpot Tourbillon», une montre spectaculaire qui intègre le mécanisme d’une machine à sous associé à une sonnerie.

Entouré de ses fils Massimo et Stefano qui travaillent avec lui, Luigi Macaluso s’est imposé comme une figure de l’horlogerie suisse de tradition. Sa passion pour les belles mécaniques a pris ses racines dans l’automobile (il possède d’ailleurs aujourd’hui l’une des plus belles collections au monde de voitures de rallye): architecte de formation, Luigi Macaluso se destinait au design de voitures et à la course automobile. En 1972, il est le copilote de Raffaele Pinto, qui remporte le championnat d’Europe des rallyes sur une Fiat 124 Abarth. Il se tourne vers l’horlogerie plus tard, en 1975, lorsqu’il intègre une filiale italienne d’Omega. Cette nouvelle passion le conduira ensuite jusqu’en Suisse, à la Chaux-de-Fonds, où il nous a reçu.

Comme beaucoup de propriétaires d’entreprises familiales, vous n’aimez pas donner de chiffres. Mais pouvez-vous esquisser la progression de Girard-Perregaux depuis dix ans?

La croissance s’est considérablement accélérée, comme pour toute l’industrie de la haute horlogerie. En gros, notre chiffre d’affaires a doublé en 10 ans. Pour être plus précis, il a augmenté de 80% en 2007 par rapport à 2001.

Comment voyez-vous la suite?

Dans la haute horlogerie, il faut une vison sur 7 à 10 ans car les cycles restent très lents. Nous prévoyons aujourd’hui ce qui sera sur le marché en 2015. Nous investissons beaucoup en recherche et développement, environ 10% de notre chiffre d’affaires annuel, pour mettre au point de nouveaux modèles. Nous partageons une partie de nos recherches avec d’autres marques, nous réfléchissons dans toutes les directions: les huiles, les métaux, les mouvements. Nous ne déléguons rien car nous souhaitons comprendre et maîtriser les choses en interne. Le marché global de la haute horlogerie représente peut-être 100’000 à 150’000 montres par année. Sur un tel marché de niche, on ne peut pas espérer une croissance énorme, d’autant que nous n’avons pas la capacité de production pour l’alimenter. Nous avons souffert de problèmes d’approvisionnement l’an dernier.

Souhaitez-vous augmenter la capacité de production?

Oui, mais toujours en privilégiant la qualité. Si nous arrivons à produire 20’000 pièces par année, je suis content. Et nous y sommes bientôt… Je n’ai pas envie d’aller plus loin, ce n’est pas nécessaire.

Comment souhaitez-vous positionner la marque en matière de prix?

Nous vendons des montres entre 8’000 francs et 1 million… Nous sommes très attentifs au rapport qualité/prix sur l’ensemble de nos produits et nos tarifs évoluent essentiellement en fonction du coût des matières premières. Pas de marges surfaites, nous voulons rester cohérents au regard de ce qu’achètent nos clients.

Les modèles féminins sont-ils en progression?

Ils représentent 25% de nos ventes. Le marché est allé dans tous les sens mais nous n’avons jamais changé notre approche: nos produits féminins ne sont pas «fashion», nous ne faisons pas de montres-bijoux mais des modèles très horlogers. La tendance est finalement allée dans notre sens et notre modèle baptisé «Cat’s Eye» se vend très bien.

Vous avez récemment ouverts deux boutiques en Chine, après Mumbaï en Inde et Gstaad. Combien de tels points de vente en nom propre souhaitez-vous mettre en place?

En fait, je ne sais pas. Je saisis simplement les opportunités quand elles se présentent. Elles sont rares. Vous savez, à Paris, tout le monde voudrait être à la Place Vendôme…

Comment se répartissent les marchés?

Nous pilotons pour qu’ils restent équilibrés: 30% Europe, 30% Asie (dont 10% Japon), 12% Etats-Unis, le reste au Moyen-Orient et en Russie. Le marché suisse reste important pour nous et la Russie progresse fort.

Souffrez-vous de la contrefaçon?

Assez peu à vrai dire, car nous ne perdons pas de vrais clients à cause de fausses montres. Nous sommes donc moins touchés que d’autres marques. Cela dit la qualité des copies ne cesse d’augmenter, et il faut poursuivre la lutte. Aussi en défendant les valeurs du Swiss made et de la haute horlogerie. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes un des trois membres fondateurs de la Fondation de la Haute Horlogerie, dont c’est la mission. Nous faisons un métier magnifique et il faut le faire perdurer.

N’avez-vous jamais songé à intégrer un grand groupe, ou au moins à lui vendre une partie du capital?

Nous n’avons pas imaginé un tel scénario de sortie au départ, mais ce n’est pas impossible… «Never say never», comme on dit. Les sollicitations existent. Je suis ouvert aux discussions, car je ne pense pas que les pourcentages du capital changent grand-chose à notre philosophie. Ce qui est important, c’est de conserver son indépendance d’esprit.

Votre passion pour l’automobile vous avait conduit à associer Girard-Perregaux à Ferrari, entre 1994 et 2004, avec une collection exceptionnelle. Ce type de co-branding a séduit d’autres marques. Pourquoi ne pas l’avoir poursuivi?

Avec Ferrari, c’était un peu comme une histoire d’amour, il y avait des implications d’ordre personnel. Cette relation a duré son temps et, au bout d’un moment, il fallait arrêter. Ce fut un grand succès, mais nous ne le referons plus…

Vous êtes cependant associés à BMW en tant que sponsors communs du bateau Oracle dans la Coupe de l’America…

Oui, c’est un partenariat d’opportunité, et je roule moi-même en BMW, mais cela ne va pas plus loin…

Est-ce un choix de ne pas associer la marque à des personnalités, comme beaucoup de vos concurrents?

Oui, car nous ne sommes pas «show-off». La voile nous intéresse car ce n’est pas seulement un sport mais un style de vie. Le vent, la mer, la technologie, ce sont aussi nos valeurs. Nous nous intéressons aussi au design, à l’architecture, aux arts visuels et à la musique. Nous sponsorisons par exemple le festival Menuhin de Gstaad.

A quoi ressemble le client Girard-Perregaux?

C’est quelqu’un de cultivé qui connaît l’horlogerie et n’a pas besoin d’être rassuré en faisant partie d’une tribu visible. Tout l’inverse d’une fashion victim! Une cravate démodée finit à la poubelle, mais pas une montre.

La marque souffre-t-elle selon vous d’un déficit de notoriété?

Oui et non, car nous ne sommes finalement pas si nombreux dans le secteur de niche de la haute horlogerie. De plus, nous vendons toutes nos montres, donc nous n’aurions théoriquement pas besoin de développer notre notoriété! Mais dans le cadre d’une stratégie à plus long terme, c’est évidemment important.