Candidate pour la deuxième fois au Conseil d’Etat, Sandrine Salerno, la cheffe des finances de la ville de Genève, incarne comme personne les complications à être de gauche en 2018. Et la nécessité de maîtriser le saut périlleux arrière.
«Santé!», «Prospérité maîtrisée», «De rien pour arriver à pas grand-chose»: on aurait pu vous parler des candidats présents sur des listes indépendantes et plus ou moins folkloriques. Ce sera pour une autre fois. En attendant, parmi les 31 personnalités qui se lancent dans cette course au Conseil d’Etat genevois, la figure de la socialiste Sandrine Salerno, responsable des finances de la Ville depuis 2007, n’est pas la moins fascinante.
Déjà, elle a connu son Chemin de Damas. Son échec en 2013 devait en effet beaucoup au fait d’incarner jusqu’à la caricature et même au-delà un militantisme féroce, pour ne pas dire obtus, imposant un strict catéchisme de gauche comme seule grille de lecture des plus humbles réalités comme des plus grands enjeux.
Sandrine Salerno alors, c’était peur sur la ville et donc sur le canton. Ministre, cette femme-là, la droite en était sûre, ferait fuir les entreprises. Salerno distribuait d’ailleurs volontiers elle-même des verges pour se faire battre. Quand par exemple elle fustigeait «la politique financière ultra-attractive du Conseil d’Etat à l’égard de ces entreprises qui, certes, ramènent beaucoup d’argent à Genève mais créent des effets non maîtrisés sur le territoire en termes de mobilité et de logement».
Les milieux immobiliers aussi n’étaient pas loin de la panique, prévoyant déjà qu’avec elle ce serait «préemptions, expropriations et réglementations». Surtout que dans son sillage planait l’ombre imposante de son compagnon d’alors, le conseiller national Carlo Sommaruga, secrétaire général de l’Asloca.
Ajoutez-y quelques petits travers qui sont autant de chiffons rouges: copinage dans les nominations, appartement de faveur, obsession du langage épicène, défense d’une laïcité ouverte dont on sait bien aujourd’hui à qui elle profite d’abord… Ramadan, pourquoi tu tousses? Bref la cause de Sandrine Salerno était perdue d’avance.
Mais c’était une autre époque. La Sandrine nouvelle est arrivée. Non seulement elle a déménagé, non seulement un conseiller municipal PLR a remplacé dans sa vie le bouillonnant pro-palestinien Sommaruga, non seulement, elle a effectué, comme croit l’avoir remarqué Le Temps «une montée en puissance vestimentaire», mais elle a aussi amorcé un véritable virage politique: «Dans une fonction exécutive, on est plus qu’une femme socialiste, on a un rôle institutionnel, il faut jouer le jeu. J’ai changé le ton, essayé d’être moins affirmative, de laisser plus d’espace.»
Cela irait même plus loin, comme le cafarde «un ténor socialiste»: «Sur les sujets fiscaux ou économiques, par exemple, elle a opéré un virage à 180 degrés». A droite on reste sceptique sur la réalité de cette mue mais on accorde à Sandrine Salerno d’avoir compris «que l’argent ne pousse pas sur les arbres».
Le positionnement d’un Manuel Valls en France l’a pourtant montré cruellement: se recentrer peut apporter une sympathie à droite, mais pas de suffrages, alors que l’effet à gauche est garanti dans les urnes sous la forme d’une sérieuse évaporation.
Surtout qu’à la question «qu’est-ce qu’être socialiste aujourd’hui?», Sandrine Salerno apporte une réponse des plus minimales: «C’est refuser de s’enfermer dans des postures qui donnent l’illusion du grand soir mais ne changeront pas le quotidien de celles et ceux qui en ont besoin».
Que de chemin parcouru en effet depuis cette année 2013 où elle se faisait la chantre enthousiaste de la dette. Qui n’était pas de la dette mais «un investissement pour Genève». Mieux que ça même, trouvait-elle, une manière habile et juste de répartir les charges sur tous les usagers «y compris les générations futures». Il paraît loin le temps où Sandrine Salerno était à deux doigts de vouloir taxer les pas encore nés.