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Quand l’intelligence fait rage

La transition énergétique sur laquelle nous votons le 21 mai a tout du compromis futé. Les apparences peuvent être trompeuses, surtout face à l’épouvantail nucléaire.

Nous vivons une époque intelligente. Ou du moins l’intelligence y est dressée sur un piédestal, servie à toutes les sauces et même érigée en mot d’ordre. Ce qui pourrait bien être le signe d’une bêtise ne disant pas son nom, selon le vieil adage voulant que ce sont ceux qui en parlent le plus qui en font le moins.

Passons: tout doit désormais être intelligent, même les réseaux électriques. Il faut naturellement le dire en anglais, ça fait plus intelligent. Smart grid donc. Des réseaux intelligents que la Stratégie énergétique 2050, voulue par Doris Leuthard et sur laquelle nous votons le 21 mai prochain, devrait contribuer à développer.

On demandera: mais à quoi donc pense un réseau électrique intelligent? On répondra, en prenant l’air intelligent, mais surtout parce qu’on l’a lu quelque part: à gérer au plus près et au plus juste les flux d’énergie d’origine éolienne et solaire. Des énergies, comme on sait, aussi capricieuses que le vent et la lumière. Plus capricieuses en tout cas, ou susceptibles d’un autre genre de caprice que ces satanées centrales nucléaires dont Stratégie 2050 entend bien signer l’acte de décès final.

Il s’agira donc de se montrer plus rusé que les forces de la nature. Toute l’histoire de l’Homme nous crie que c’est loin d’être gagné. La Suisse néanmoins y croit, enfin Doris Leuthard au moins. Pour les autres, on verra le 21 mai.

Stratégie 2050 veut donc être aux petits soins pour tout ce qui semble propre et renouvelable. A savoir le photovoltaïque, l’éolien, la géothermie, la biomasse, les grandes centrales hydrauliques. Cela en fait des industries et des secteurs qui ne seront pas de trop pour combler le vide électrique que laisseront les Leibstadt et autres Beznau, le nucléaire ayant quand même fourni l’an dernier 33% de la production de notre pays.

Autant dire que le photovoltaïque, l’éolien, la géothermie, la biomasse et les grandes centrales hydrauliques — espérons que nous n’avons oublié personne — ont intérêt à un mettre un sacré coup. Et qu’il faudra donc effectivement les soutenir, les flatter, les inciter. Bref, les financer. Car si la nature ne s’achète pas, l’homme qui la travaille, oui. Si le vent, l’eau et la lumière sont gratuits, ils savent se faire désirer. 38’000 projets sont ainsi en attente de réalisation, auxquels il ne manque plus qu’un seul carburant pour démarrer, pas forcément propre ni renouvelable: l’argent.

Le développement forcé du renouvelable sera ainsi rendu possible par le relèvement des taxes sur l’électricité. Et ça, n’ayons pas peur de le dire, ce n’est pas bien malin. Mais ne chipotons point: personne ne peut être intelligent à tous les coups, même pas le Conseil fédéral. Cette sortie en douceur du nucléaire, décidée précipitamment après la catastrophe de Fukushima, reste un joli conte de fées.

Mais comme dans tous les contes de fées, il y a toujours un ou deux vilains personnages. Dans celui-ci, les méchants forment un attelage composite et bigarré. On y retrouve aussi bien les transgressifs atomiques de l’UDC que l’ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement, Philippe Roch — Stratégie 2050 limiterait les droits de recours, autant dire que cela lui arracherait le cœur –, ou encore le Schtroumpf grognon professionnel qu’a toujours été Pascal Couchepin. Surtout à la vue d’une dépense publique: «Je dis non à la logique du subventionnement permanent et généralisé», tonne-t-il ainsi dans Le Temps.

Non que le vieux sage de Martigny soit fondamentalement contre le renouvelable. A condition bien sûr que soient encouragés «les investissements libres des privés». Couchepin connaît son catéchisme libéral sur le bout des doigts. Sans fermer par ailleurs la porte au nucléaire: «Personne ne sait comment la technologie va se développer. Si on est ouvert aux nouvelles technologies, on ne peut pas diaboliser le nucléaire du futur.» Un raisonnement sans doute pas moins intelligent qu’un autre.