LATITUDES

Mon coming out de touriste

Personne n’aime passer pour un touriste. Mais peut-on échapper à ce statut en partant en vacances? Chronique.

Que d’hésitation avant de rejoindre enfin cette file d’attente! Y aller, ou renoncer à embarquer pour ne pas faire comme tout le monde? En montant à bord du bateau, j’ai osé endosser le statut qui était le mien dans ce pays qui n’était pas le mien: celui de touriste.

«Tu as fait ton coming out de touriste!», m’a rétorqué un ami à qui je confiais, un rien confuse, le plaisir éprouvé lors de cette visite qui m’avait permis de découvrir le port d’Hambourg. Des entrepôts «Speicherstadt» aux terminaux pour containers, en passant sous l’imposant chantier de l’opéra et le quai Blohm & Voss. Une visite digne d’intérêt. Et pourtant destinée à des touristes!

Il faut se rendre à l’évidence: partir quelques jours, à quelques centaines de kilomètres de mon domicile ne me transforme pas en aventurière ni même en voyageuse. Cela fait de moi une simple touriste. Même le choix d’une destination peu «mainstream» ne modifie en rien la donne. Alors, pourquoi tant de difficulté à l’admettre?

Personne ne souhaite être considéré comme un touriste. N’est-ce pas, selon le sociologue Jean-Didier Urbain, «l’idiot du voyage, le naïf, le novice, le stupide qui, méprisant ses semblables, se méprise lui-même»? Avant lui, c’est Pierre Daninos qui, dans «Vacances à tous prix», en 1973, donnait cette définition du touriste: «Terme employé avec une nuance de dédain, parfois d’agacement, par le touriste pour désigner d’autres touristes».

Si Stendhal, à la fin des années 1830, était fier d’en être un, vingt ans plus tard, Flaubert en avait déjà honte. Aujourd’hui, chacun s’accorde à reconnaître que le touriste est la caricature de tout ce que nous refusons d’être, un «avatar dégradé du voyageur», un mouton qui se déplace en troupeau.

La lecture d’un essai convaincra néanmoins celles et ceux qui pensent pouvoir échapper à l’étiquette de «touriste» qu’il n’en est rien. En observateur narquois de l’«homo touristicus», Dirk Schümer, auteur de «Touristen sind immer die anderen», (Les touristes c’est toujours les autres), nous tend un miroir dans lequel il est difficile de ne pas se reconnaître. Seuls quelques voyageurs authentiques échapperont à ce diagnostic.

Puis, le journaliste analyse pourquoi il n’y a pire ennemi du touriste que les autres touristes. «C’est comme avec l’âge: tout le monde veut devenir âgé, mais personne ne veut être vieux. Sur le même modèle, tout le monde veut voyager, mais personne ne veut admettre qu’il est un touriste».

Reste, en guise de consolation, pour qui n’accepte pas d’être assimilé à un touriste lambda, la pratique d’un tourisme selon l’une de ses nombreuses déclinaisons «tendance». Ainsi, on aura la douce illusion d’échapper au «troupeau» en pratiquant le tourisme alternatif, solidaire, social, durable, responsable, vert, équitable voire expérimental ou spatial. Autant d’adjectifs permettant de trouver des mobiles sérieux pour résorber sa mauvaise conscience.

Mieux encore — et seule véritable option pour éviter d’être amalgamé au phénomène du tourisme et à ses dérives — ne pas quitter son chez-soi. «Bin ich blöd und fahr in Urlaub? Zuhausebleiben ist der beste Trip» (Suis-je bête, partir en vacances? Rester à la maison est le meilleur voyage) est le titre d’un autre ouvrage allemand diffusé à la veille des vacances.

Falko Löffler, son auteur, interpelle ses lecteurs: «Ne partez-vous pas pour des destinations exotiques uniquement pour en faire étalage sur Facebook? N’en avez-vous pas marre de la mobilité permanente et n’aspirez-vous pas tout simplement à être tranquille? Dès lors, le chez-soi est manifestement la meilleure destination!». Une injonction qui sonne le glas du temps vide des vacances, qui doit impérativement être rempli. Et un éloge de l’immobilité pour échapper au diktat de l’activisme.

Il y a cinquante ans, avant même le tourisme de masse, l’écrivain et diplomate français Paul Morand avait eu cette phrase: «Il n’y a plus que des voyageurs; les sédentaires deviennent des originaux. Tous les hommes sont en route.»