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Compter jusqu’à trois? Vous n’y pensez pas!

La possibilité d’inscription d’un troisième sexe à l’état civil est peut-être anecdotique. Le refus du Conseil fédéral, en revanche, révèle une paresse d’esprit peu glorieuse.

Compter jusqu’à trois? «Trop compliqué». C’est en tout cas l’avis du Conseil fédéral. Trois, pour ce troisième sexe qui se trouve donc privé de la possibilité d’une inscription dans les documents officiels, comme le réclamait la communauté LGBTQIA+.

Ce qui frappe ici, sans présumer de la justesse ou de l’opportunité d’une telle demande, ni du nombre de personnes concernées, c’est la désinvolture, pour ne pas dire la frivolité de la réponse.

«Trop compliqué», ce n’est pas un argument. C’est même le contraire d’un argument. Une fin de non-recevoir, une manière de clore le débat avant même qu’il ait commencé. Mieux, le «compliqué» pourrait même être considéré comme la raison d’être de la politique. Si des femmes et des hommes, en attendant plus, sont élus à des fonctions décisionnelles, c’est précisément pour résoudre des situations complexes, pas pour enluminer des absences de problèmes.

À moins bien sûr d’être un adepte du fameux adage attribué à un ancien président français du Conseil des ministres sous la quatrième République, Henri Queuille: «Il n’y pas de problèmes dont l’absence de solution ne finisse par venir à bout.»

Qu’aurait-on dit, toutes proportions certes gardées, si le Conseil fédéral, devant l’épidémie de coronavirus, s’était exclamé, au moment de devoir imaginer des solutions: «Trop compliqué»? Ou si ce même Conseil fédéral, sommé face à l’urgence climatique de dire les grandes lignes de sa politique, se contenterait de ronchonner: «Trop compliqué»?

Évidemment, le rapport des services Karin Keller-Sutter qui s’est penché sur cette question de troisième sexe ne se contente pas de lâcher ce désormais célèbre «trop compliqué!». Il tente d’argumenter, un peu, mais de manière si faible que l’on comprend vite qu’effectivement, pour l’administration du moins, cette petite affaire-là est réellement ressentie comme trop compliquée: «Le principe de la binarité des sexes reste profondément ancré dans la société suisse.»

Sauf que d’abord, on n’en sait trop rien et qu’ensuite l’ancrage d’un sentiment, d’un préjugé, d’une opinion dans la société, même ultra majoritaire, ne saurait dispenser à priori l’Etat et ses représentants de toute réflexion. Les exemples sont nombreux dans l’histoire où la plus grande partie d’une population s’est entêtée à soutenir des aberrations, à valider des injustices.

Reste donc la complexité. Quelle est-elle? Ecoutons l’amère plainte administrative: l’instauration d’un troisième sexe dans les documents d’état civil «nécessiterait de nombreuses adaptations de la Constitution et des lois fédérales». Si l’on peine à imaginer l’avalanche de travail législatif et constitutionnel que pourrait déclencher la possibilité d’une troisième case à cocher, le rapport invoque les prescriptions du service militaire et du service civil qui ne prévoient pas de troisième voie: on est homme ou femme, basta, rompez.

Comme chacun comprend qu’il n’y pas là d’obstacle réellement insurmontable, une autre complication est mise en avant: Infostar. Autrement dit le registre central qui contient toutes les données d’état civil. Impossible, parait-il, d’y inscrire une troisième catégorie de sexe sans revoir tout le système. L’affaire est donc claire. C’est l’Etat informatisé, autrement dit Big Brother, toujours avide de simplicité,  pour ne pas dire de simplification, qui trouve tout ça trop compliqué.

Pour rejeter cette demande d’inscription d’un troisième sexe à l’état civil, le Conseil fédéral aurait pu invoquer le fameux principe de binarité. Non pas en se contentant de dire qu’il était «ancré» dans la population, mais en le défendant, car il est sans doute largement défendable par des arguments philosophiques, éthiques, anthropologiques, biologiques, scientifiques, rationnels. Mais c’eût été sans doute, devinez quoi? Trop compliqué.