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Salaires de rien

Quand les Chambres s’en prennent aux rétributions minimales en vigueur dans certains cantons, elles se renient un peu et même beaucoup. En s’asseyant à la fois sur la démocratie directe et le fédéralisme.

Le fédéralisme quand ça les arrange. Sinon, on remet en marche le bon vieux rouleau compresseur de la centralisation. Ainsi pourrait se résumer le coup de la force de la droite contre le salaire minimum. Un dispositif en vigueur dans quelques cantons -Genève, Neuchâtel, Jura, Bâle-Ville et Tessin- qui devront bientôt y renoncer. La faute à une motion acceptée par le Conseil des États en juin, puis cette semaine par le Conseil national et faisant primer les conventions collectives de travail sur le droit cantonal.

Parler de coup de force n’est pas exagéré, puisque les salaires minimums cantonaux existants sont issus d’un vote de la population. Les chantres habituels de la démocratie directe semblent ici ne plus vouloir en entendre parler.

Coup de force qui se révèle aussi dans la morgue, pour ne pas dire le mépris de l’intitulé: «protéger le partenariat social contre des ingérences discutables». Il existe donc une majorité de parlementaires fédéraux pour lesquels la souveraineté cantonale et le vote populaire s’apparentent à des «ingérences discutables».

Coup de force encore que trahit le parfum d’hypocrisie collant aux arguments des motionnaires. Les salaires minimaux cantonaux créeraient des exceptions, sources d’une insécurité juridique qui menacerait les partenariats sociaux et décrédibiliserait les conventions collectives. Cela pourrait s’entendre si l’analyse n’émanait pas de milieux qui ne cachent pas habituellement tout le mal qu’ils pensent de ces mêmes partenariats sociaux et conventions collectives.

Hypocrisie que l’on retrouve lorsqu’il s’agit, comme le conseiller national PLR Damien Cottier, de nier toute atteinte à la souveraineté populaire: «Le peuple s’est exprimé sur le principe d’un salaire minimum, mais pas sur les modalités d’application». Ce qui équivaut à ramener la démocratie directe à un joujou bon pour amuser le peuple et que le pouvoir central et les milieux économiques sauront toujours interpréter à leur avantage. Notons à ce propos que le père de la motion, Fabio Regazzi, est un tessinois du Centre, mais coiffé d’une autre casquette intéressante: président de l’Union suisse des arts et métiers (USAM).

La vérité oblige à dire que certes il n’y a pas le feu au lac. Le Conseil fédéral, à qui il reviendra de concocter un projet de loi, était opposé à la motion Regazzi et le patron de l’économie, Guy Parmelin, a déjà fait savoir que ce ne serait pas un dossier prioritaire pour le sacré collège. D’autant que les cantons auront leur mot à dire lors de la phase de consultation.

Bref, pour garder la même image, bien de l’eau va couler dans le lac avant l’incendie. Même Fabio Regazzi l’admet: «le processus pourrait prendre trois à quatre ans». D’où il tire une conclusion bien légère: «Il ne faut pas faire toute une comédie disproportionnée avec cette histoire».

Une histoire quand même qui révèle un visage pas forcément glorieux du parlement, avec deux Chambres aux ordres des lobbyistes de l’économie. Défendre l’économie c’est bien, c’est même indispensable, mais peut-être pas avec des principes surannés. Vive le capitalisme, à condition que ce ne soit pas celui du 19ème siècle.

On notera donc que ce même parlement qui vient de légiférer pour interdire désormais aux parents d’administrer une gifle ou une fessée à leurs enfants, ainsi que toute forme de violence psychologique ou de rabaissement, ne montre en revanche aucun scrupule à vouloir brutaliser les bas salaires.

Faire valoir qu’il en irait de la bonne santé et de la compétitivité de nos entreprises, c’est oublier un principe simple, d’une évidence aveuglante et qui ne doit rien à une quelconque lubie d’extrême gauche: qu’une activité économique ne parvenant pas, pour un équivalent plein temps, à dégager un salaire permettant d’au moins vivoter, n’a plus vraiment de sens. Sauf à utiliser des robots.