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Votre télévision fait des étincelles

Censurée par Giroud, réveillant Jacqueline de Quattro, enfumée par Godard: on ne tient plus la somnolente RTS. Qui s’en plaindrait?

Tout arrive. On a bien vu un ministre des armées infichu de convaincre une population pourtant de rudes
citoyen(ne)s-soldat(e)s que la sécurité du pays pouvait dépendre de l’achat d’une poignée de coucous suédois. On a bien vu un peuple refuser massivement le cadeau d’un salaire minimum dont le montant, vu d’ailleurs, ressemblait plutôt à celui d’un pactole maximum.

Et que voit-on aujourd’hui? La RTS, oui votre télévision, faire des étincelles. Au point quasi de vous étouffer dans la gorge vos sempiternels, vos quotidiens grognements contre la redevance. Une RTS qui se voit en effet gratifiée du plus haut honneur pouvant jamais échoir à cette drôle de chose bavarde, bateleuse et inconséquente qu’est forcément une chaîne de TV: se faire couper le sifflet cathodique par la censure. Ou à défaut bâillonner par une justice distraite, instrumentalisée, ou dévoyée — cocher ce qui convient.

Oui, votre, notre télévision peut être reconnaissante à la justice valaisanne et à la désormais très fameuse pour ne pas dire fumeuse maison Giroud vins.(Eaux bénites en option). Et surtout à ces mesures «superprovisionnelles» pour empêcher la diffusion d’une enquête le concernant sur les antennes de la RTS, demandées par le superencaveur Dominique Giroud qui n’a jamais craint de pousser loin le bouchon, en matière aussi bien d’assemblage vineux que de propagande bigote.

Voilà bien, pour les ordinairement besogneux soldats du quai Ansermet, les tâcherons de la petite lucarne, une reconnaissance qui vaut tous les sept d’or. Une surprise n’arrivant jamais seule, c’est à la suite d’un reportage de la RTS, oui, encore, votre télévision, que les autorités vaudoises ont enfin décidé d’interrompre leur longue sieste. D’ouvrir un œil soudain sourcilleux dans l’affaire dite de la villa Poutine, ce chalet de luxe en mains russes du côté de Villars, dont la construction a multiplié les infractions. Par les temps qui courent, stopper une avancée russe, même quand Poutine n’est là qu’au titre d’amusant sobriquet, on ne peut que s’incliner et dire bravo.

Oui bravo à la RTS d’avoir excité les ardeurs d’une ministre vaudoise de l’aménagement territorial qui partait certes dans cette affaire avec un léger handicap: partager au moins avec Poutine un point très commun, une addiction des plus suspectes. Qui dira où peut mener l’amour immodéré du judo?

A ce rythme d’enfer, on se demande où va s’arrêter la RTS. Même le gentil Darius s’y est mis, avec une prise de risque insensée: aller se faire enfumer dans la cuisine du méchant Godard. Se faire souffler contre de lourdes bouffées de Havane pour arracher à la fin, et avant sans doute de devoir confier son beau costume au pressing, cette mémorable confession du maître: «Je suis un autiste de haut niveau». Et c’est ainsi que l’armée de Darius se retira victorieuse du traquenard de Rolle.

Et tout cela fait tache d’huile: Godard ayant montré la voie, c’est Nick Hayek le patron de Swatch qui s’est permis à son tour de s’allumer un barreau de chaise en pleine émission de la SRF. Et qui, devant le tollé, a dit espérer que fumer à la télévision, cela ne soit plus réservé à la crème de l’élite mais carrément «devienne une mode».

Donc une télévision soudain performante et audacieuse dans un pays qui semble se bonifier jour après jour, corriger ses erreurs aussitôt commises: un pays où désormais il sera possible — pour ceux qui n’aiment pas encore le cigare et plus du tout la cigarette — de mettre autre chose que de l’eau tiède dans leurs vaporettes. Sans parler, à deux encablures, de la diffusion en large et long du mondial de foot, sur la RTS bien sûr. Quand nos amis et néanmoins odieux voisins et adversaires français devront passer eux pour la moitié des matchs par la case payante et qatarie. Merci, merci, merci.