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La démocratie ou la banque, le choix impossible

Le vote pour beurre du Conseil national contre les crédits visant à éponger la chute de Credit Suisse, révèle assez crûment la nature profonde de notre système politique.

«Dans ce pays, ce sont les banques qui gouvernent.» Que pourra-t-on répondre désormais à cette vieille certitude de comptoir, énoncée avec d’autant plus d’énergie que le niveau des verres baisse? La réponse est facile: rien.

Voilà un des effets collatéraux du très étrange vote qui a vu le Conseil national refuser les crédits de 109 milliards actionnés par le Conseil fédéral pour colmater la chute de Credit Suisse. Vote pour la gloire, puisque «symbolique» et donc sans effet.

Que sur des montants et sur un sujet aussi important, les représentants du peuple en soient réduits à ne pouvoir exprimer que leurs petites humeurs et leurs grosses colères, interpelle au pays de la démocratie directe.

La faute donc à ce «droit de nécessité» qui permet au Conseil fédéral – avec l’aval toutefois d’une commission parlementaire – de passer en force dans les cas d’urgence. Ce n’est pourtant n’est pas vraiment cet instrument qui est en cause.

Le système suisse, conçu en effet pour relativiser au maximum le pouvoir de chacun et forcer tout le monde au compromis, est sans doute une merveille de démocratie et fonctionne toujours admirablement… par beau temps. En cas de tempêtes, il deviendrait vite, si aucune exception n’était prévue, une source de dangereuse paralysie, empêchant l’exécutif d’exécuter.

Le problème est que ces subtils mécanismes profitent une nouvelle fois, après le sauvetage en urgence d’UBS en 2008, à la sacro-sainte place financière, renforçant le soupçon d’un État dans l’État.

L’imbrication en tout cas entre les sphères étatiques et bancaires est telle que chaque bord politique peut renvoyer l’autre à ses propres fantasmes et ou compromissions, comme l’ont montré les débats pour du beurre du Conseil national.

À gauche, on accuse la droite de copinage avec un secteur bancaire qu’elle a toujours défendu, quoi qu’il fasse, et de ne pas vouloir vraiment prendre de mesures qui déplairaient à la Paradeplatz. À droite, on accuse la gauche d’instrumentaliser la crise à des fins électorales, quitte à saper «de façon irresponsable» les fondements même du système bancaire suisse.

À noter toutefois que le refus du Conseil national d’entériner les largesses du Conseil fédéral n’a pu se faire que grâce aux voix de l’UDC qui sont venues se joindre à celles du PS et des Verts, au motif assez baroque que Credit Suisse aurait failli pour n’avoir plus été assez suisse. Gageons que face à un attelage aussi brinquebalant, la place financière ne se sente que moyennement menacée.

Les mesures cependant qui pourraient être prises et seront probablement prises pour minimiser les risques d’un nouvel épisode du même genre –renforcement des pouvoirs de la Finma, limitations des bonus managériaux, séparation des activités bancaires, création d‘une commission d’enquête – ne changeront sans doute pas grand-chose à la donnée de base.

À savoir que la place financière est suisse et que la Suisse est place financière. C’est la démocratie très huilée qui a créé la stabilité permettant aux banques de devenir un havre mondial. Dans l’autre sens, c’est l’attractivité exceptionnelle de la place financière qui a permis d’ajouter à la démocratie confédérale la prospérité nationale. En somme, la richesse économique, pas toujours immaculée, comme prix d’une vertu politique sans tache.

Suggérer qu’on puisse choisir entre les deux, c’est un peu exiger qu’on choisisse entre papa et maman.