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Vapeurs autour du voile

Par la faute du Tribunal fédéral, un vain débat est relancé. La droite s’y engouffre, voyant dans le bout de tissu islamique un chiffon rouge électoral, tandis que la gauche s’enferre dans des proclamations de circonstance.

On avait échappé depuis un bon moment au dérisoire problème du voile. Jusqu’à ce que les juges du Tribunal fédéral relancent la polémique, faisant sortir du même coup de leurs tanières alpicoles le ban et l’arrière-ban de l’islamophobie la moins raffinée. Au prétexte assez mince qu’il n’existerait pas de base légale pour interdire à deux écolières thurgoviennes de porter le fameux morceau à l’école.

En conséquence de quoi l’UDC, évidemment, par le biais de quelques-unes de ses sections issues de cantons aussi férocement laïcs que le Valais, St-Gall ou justement Thurgovie, entend légiférer d’abord au niveau cantonal, puis, en cas d’échec, par l’arme classique de l’initiative populaire, qui finira par s’user à force d’usage intempestif.

Sur ce genre de thème, le magistrat Freysinger ne se montre pas plus nuancé qu’Oskar le militant de jadis: «On a enterré le crucifix et il faudrait accepter le voile?» Tout en vitupérant son incompréhension face au «laisser-faire des juges» — insubmersible rengaine de toutes les droites scrogneugneu du monde –, le chef valaisan du département de l’instruction et de la sécurité ne peut s’empêcher de dire sa gratitude à ces mêmes incompétents: «Le TF donne un coup d’accélérateur au débat, alors qu’au Parlement fédéral nous n’avons jamais obtenu de majorité pour revoir notre législation.»

Soyons justes: l’UDC n’est pas seule à se pourlécher les babines, à sentir là le bon goût du sang et de la martingale électorale. Les faux-frères bourgeois se tiennent aussi en embuscade. Le président du PDC Christophe Darbellay avait déjà esquissé en 2009 une jolie danse anti-burqa. Cette fois, il se dit tenté par une petite motion anti-voile, au nom sacré de «l’intégration». Et tant pis si les pays où cette fameuse intégration ne s‘est pas soldée par un ratage complet — l’Angleterre par exemple — ne se sont justement pas laissés engluer dans des questions aussi annexes que la présence d’un bout de tissu sur la tête de quelques écolières.

Quant au vice-président du PLR Christian Lüscher, il sort carrément la grosse sulfateuse et parvient sur ce thème à dépasser sur sa droite la droite de la droite. «Si des parents ne scolarisent plus leurs filles parce qu’elles ne peuvent pas porter le voile, nous pouvons considérer qu’ils ne sont pas intégrés et les renvoyer.» Tant pis si nombre de porteuses de voile sont tout bêtement de nationalité suisse. Tant pis encore si, comme critère d’intégration, la capacité à subvenir honnêtement à ses propres besoins pourrait paraître plus sérieuse qu’un point de détail vestimentaire et rituel.

Même le député genevois Pierre Weiss, autre membre distingué de la direction du PLR et d’ordinaire auteur de réflexions autrement plus affûtées, semble démangé par l’envie de légiférer. Comment donner tort à un Hafid Ouardiri renvoyant Weiss «aux vraies préoccupations de nos concitoyens, comme la sécurité et l’emploi»?

Un argument pro-voile sans doute plus pragmatique et intelligent que ceux, mécaniques et idéologiques, brandis à gauche par une Cesla Amarelle voyant dans l’interdiction du voile une atteinte aux grands principes éthérés que sont «la liberté religieuse, la non-discrimination» et naturellement cette trop fameuse «intégration».

Bien sûr, au moment où la moitié d’une Egypte plus ou moins libérale et laïque se bat contre une autre moitié sûrement bigote et fanatique, ce n’est peut-être pas le moment de concéder ici quoi que ce soit à l’obscurantisme musulman. Ce qui n’empêche pas, à la manière d’un Chamfort, de souhaiter aussi bien «la paresse d’un méchant» que «le silence d’un sot».