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En Bourse, le risque zéro peut rapporter gros

Une étude américaine vient bousculer une vieille croyance de la finance. Les valeurs sûres produiraient en réalité davantage de gains que les placements aventureux. Explication.

Quel est donc le secret de Warren Buffett? Année après année, le milliardaire américain réussit à battre les marchés en achetant des actions dont la stabilité apparente ne laisse a priori que peu d’espoir de générer une grande rentabilité. Sa société d’investissement Berkshire Hathaway a enregistré une croissance annuelle moyenne de 19,8% entre 1965 et 2011 en termes de valeur comptable — une performance inégalée. Les manuels de finance sont pourtant clairs: plus un titre est risqué, plus il devrait rapporter. A l’inverse, les titres qui présentent une moins grande volatilité — en d’autres termes ceux qui fluctuent moins fortement à la hausse ou à la baisse — produiraient, en moyenne, des revenus moins élevés.

Intrigués notamment par les résultats paradoxaux de Warren Buffett, deux chercheurs ont voulu tester la véracité empirique de cette théorie jusqu’ici communément admise par les investisseurs professionnels. Lasse Pedersen, professeur de finance à l’Université de New York également actif dans la société américaine de gestion alternative AQR Capital Management, et Andrea Frazzini, gestionnaire dans cette même société, ont passé en revue la Bourse américaine sur une période allant de 1926 à 2009, ainsi que 19 autres des plus importants marchés financiers mondiaux de 1984 à 2009. Qu’il s’agisse d’actions, d’obligations ou de produits dérivés, le résultat de leur étude «Betting Against Beta» est sans appel: la réalité ne suit pas la théorie.

«Les investissements non risqués (en termes de volatilité, ndlr) produisent en moyenne quasiment les mêmes revenus que les investissements risqués, affirme par téléphone Andrea Frazzini. Par rapport au risque encouru, les revenus des actifs non risqués s’avèrent donc systématiquement plus élevés que ceux des actifs risqués. Dans ce sens, la prise de risque ne vaut pas le coup.» Cette anomalie récurrente avait en réalité déjà été relevée par un chercheur américain à la fin des années 1960, mais seulement pour le marché des actions aux Etats-Unis. Le manque d’accessibilité aux données historiques internationales avait jusqu’ici empêché de savoir s’il s’agissait ou non d’un cas isolé, et avait relégué au placard ce constat pourtant fondamental.

Richard Olsen, directeur d’un fonds d’investissement zurichois et professeur invité à l’Université d’Essex, découvre la nouvelle étude avec surprise: «Le plus étonnant, c’est qu’il y a encore quelque temps la quasi-totalité des investisseurs estimait que les titres volatils étaient ceux qui rapportaient le plus. Je trouve ironique qu’un hedge fund aussi réputé qu’AQR publie des résultats contredisant ce dogme de la finance. Cela montre bien à quel point les principes théoriques de base doivent être révisés.»

Boom des fonds de placement non risqués

Les raisons des performances inattendues des valeurs sûres restent à élucider. Andrea Frazzini et Lasse Pedersen proposent une explication. Selon eux, la grande majorité des investisseurs a tendance à se diriger vers des placements risqués dans l’espoir de bénéficier des meilleurs revenus, comme le suggère la théorie de base. Sous la pression de la très forte demande, les cours de ces titres prennent l’ascenseur et deviennent très vite surévalués. Une fois à un niveau plafond, ils ne disposent plus de marge pour augmenter et les acheteurs suivants se retrouvent désavantagés. Les actifs non risqués sont quant à eux épargnés par cette demande exagérée. Ils attirent un moins grand nombre d’investisseurs mais ces derniers sont souvent fortunés — comme Warren Buffett ou les fonds alternatifs — et disposent ainsi d’un avantage que n’a pas la majorité: ils peuvent aisément emprunter de grosses sommes d’argent et tirer parti de l’effet de levier pour amplifier leurs gains (lire ci-dessous).

«Afin de tester notre raisonnement en pratique, nous avons analysé la composition des portefeuilles de différents investisseurs ayant une plus ou moins grande facilité d’accès au crédit, explique Andrea Frazzini. Nous avons pu montrer que certains investisseurs qui n’ont pas le droit de trop s’endetter, comme, par exemple, les fonds mutuels, prennent en effet plus de risques. A l’inverse, Warren Buffett utilise des emprunts à long terme pour investir dans des valeurs sûres.» Richard Olsen relativise, quant à lui, l’argumentation des auteurs sur la dichotomie observée entre la théorie de base et la réalité. Il souligne que d’autres explications sont possibles, notamment par l’influence de la baisse constante des taux directeurs des banques centrales sur les marchés financiers au cours des vingt-cinq ans sous revue dans l’étude.

Quelle qu’en soit la raison, les actifs stables génèrent en pratique de meilleurs revenus par rapport au risque encouru. «La beauté de notre observation, c’est qu’elle peut servir à mettre au point de nombreuses stratégies concrètes d’investissement, explique Andreas Frazzini. La plus simple consiste à construire des portefeuilles qui surpondèrent les titres peu volatiles, qu’on désigne en général par «portefeuilles défensifs» ou «portefeuilles de volatilité minimale». La demande de ce type de produits a explosé ces dernières années.» Le gestionnaire suggère aussi d’utiliser l’effet de levier pour booster les gains des actions les moins risquées, à la manière de Warren Buffett. Mais prendre un crédit augmente à nouveau les risques, à défaut de quoi tout le monde userait de l’effet de levier. Une fois endetté, pas sûr qu’un investisseur privé puisse rester aussi serein que la troisième fortune du monde.

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Un crédit pour amplifier ses gains

L’effet de levier sert à démultiplier ses revenus grâce à un emprunt. Exemple: Un investisseur achète une action à 100 francs avec son propre argent. Si le cours grimpe de 10%, le bénéfice se monte à 10 francs. En revanche, si l’investisseur place 200 francs dans la même action, en utilisant 100 francs de sa poche et 100 francs sous forme d’emprunt qu’il rembourse après la revente, le bénéfice atteint 20 francs (moins le coût des intérêts). Il a ainsi pratiquement doublé ses gains sans augmenter sa part de fonds propres.

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Valeurs sûres: dix fois plus de bénéfices

Une étude de Malcolm Baker de l’Université de Harvard et Jeffrey Wurgler de l’Université de New York montre également à quel point les valeurs sûres peuvent rapporter davantage que les actions risquées. Les chercheurs ont comparé deux stratégies virtuelles d’investissement sur l’évolution historique du marché des actions américain de 1968 à 2008. La plus aventureuse, qui consiste à acheter chaque mois les actions les 20% les plus volatiles, aurait transformé 100 dollars en 735 dollars au cours de cette période. En revanche, la moins risquée, qui consiste à choisir les actions les 20% les plus stables, aurait rapporté 5’381 dollars dans le même laps de temps!

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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 4 / 2012).